À Rennes, Charlotte Brochard et Germain Caillet, du restaurant La Petite Ourse, enchaînent les collaborations avec leurs confrères à l’occasion de brunches et autres apéritifs à emporter. Des collab pour régaler les clients mais également pour rompre avec la solitude du cuisinier indépendant. Samedi dernier, c’était au tour du Café Albertine de répondre avec enthousiasme à leur demande.
« On en parle peu, mais la solitude du cuisinier et du restaurateur indépendant est dure à vivre… lorsque tout s’arrête, du jour au lendemain, c’est brutal, violent… Tu réfléchis, tu es seul face à tes interrogations… Travailler avec les autres, c’est une bouffée d’oxygène. Tu te rends compte au final que tout le monde cogite comme toi et que personne n’a la solution ! Alors, se retrouver pour cuisiner, ce sont des moments forts qui brisent cette solitude. » Dans leur restaurant rennais La Petite Ourse, évidemment fermé, Charlotte Brochard et Germain Caillet finissent d’avaler leur déjeuner, dans une salle coupée nette dans son élan. Chaises empilées, tables regroupées, vaisselle recouverte de torchons. Sur l’ardoise accrochée au mur, le menu du jour est resté figé à la semaine du 26 octobre. « C’est le menu du dernier service de La Petite Ourse avant confinement. » Accra de lieu jaune chou rouge mayo fumée, velouté de betteraves acidulées, chèvre frais pain romarin, oeuf vapeur mousseline d’épinards jus de volaille zaatar etc. Ce dernier vendredi de novembre, les jeunes parents, installés à Rennes depuis janvier 2019 seulement, accueillent deux consoeurs voisines, Solenn Nuñez et Anouck Meleard Soller, patronne et cuisinière du Café Albertine. « Demain, nous lançons notre deuxième brunch en commun, chez Albertine cette fois, et comme nous partons sur cent paniers déjà commandés, il y a un peu de mise en place, » lance Germain, impatient de cuisiner.
Du brunch étoilé avec Racines…
La Petite Ourse restant fermé, Charlotte et Germain exportent leurs talents chez leurs confrères. C’est Virginie Giboire, cheffe étoilée de Racines, qui a fait germer cette envie. « Lorsque Virginie, que l’on apprécie beaucoup, nous a proposé un brunch en commun… comment dire, on a sauté au plafond ! s’enthousiasme Charlotte. Et comme nous y avions mangé entre les deux confinements, Germain était ravi de travailler dans la merveilleuse cuisine de Racines. » Les cuisiniers (Virginie, Germain et Oriane la seconde de Racines) confrontent alors leurs idées et leurs produits avant de décliner le menu. « Chacun y a mis sa personnalité. La mayo fumée est de chez nous, le travail sur les agrumes vient de chez Virginie, comme le finger… » Quelques deux cent brunches sont ainsi envoyés, début novembre, dans la bonne humeur.
… au Beaujolais nouveau avec Rewined
Une semaine plus tard, c’est au tour de la cave Rewined de collaborer avec La Petite Ourse. « Nous avions prévu un « Frichti » commun mais le confinement a rebattu les cartes. » Émeline Macé et Alan Floc’h, de la cave de vins naturels, ne désarment pas et renouvellent leur proposition au moment de la sortie du Beaujolais nouveau. « Là pour le coup, c’est nous qui faisions la proposition cuisinée et Rewined proposait un vin, le tout à emporter. » Dans cet esprit « apéritif », le panier comporte de la terrine, un petit chou farci au citron confit, de la guimauve… et une bouteille de Beaujolais Séléné. Là encore, le succès est au rendez-vous avec 51 paniers grignotages vendus.
« Émeline et Virginie ont d’ailleurs chacune commandé un brunch pour demain, c’est sympa ! » remarque Charlotte, se félicitant au passage de cette solidarité professionnelle. « Les Grands Gamins nous ont commandé six brunches pour demain, trop cool. »
« C’est un truc humain, de partage dans un quartier… »
Pour sa troisième collab, La Petite Ourse a donc sollicité le Café Albertine de Solenn Nuñez. « C’est marrant qu’ils soient venus nous demander car j’avais pris leur brunch chez Racines et je m’étais dit que ce serait bien de travailler avec eux… Et bien nous y voilà ! » L’envie de cuisiner ensemble se ressent dès la mise en place, dans la cuisine de La Petite Ourse où Germain a l’habitude d’oeuvrer en solo. « C’est bien de partager ces moments avec de belles personnes… Nous essayons de nous rapprocher de confrères ou de consoeurs avec qui, on imagine qu’humainement il va se passer quelque chose… C’est l’une des raisons d’être de ces collaborations. » À ses côtés, penchée sur les futurs scotch-eggs végé au boulgour et épinards, Anouck acquiesce. « C’est plus un truc humain, de partage, de cuisine, dans un même quartier. J’aime bien cette idée de vie de quartier… On est loin du business, là ! » À vingt-deux euros le panier de deux plats, deux desserts et un jus, à partager entre deux restaurant, la rentabilité économique n’est évidemment pas ici l’élément moteur. D’autant que les produits, issus de leurs producteurs habituels, ne sont naturellement pas au rabais.









Avant d’aller aider les cuisiniers, Solenn échange avec Charlotte sur les assurances, les experts comptables, le quotidien aujourd’hui des restaurateurs. En cuisine, des parfums de poisson fumé au foin se font sentir. « On va laisser le lieu environ trois heures. » Demain, il sera accompagné d’une gaufre à la betterave, sauce raifort et pickles. Un plat 100% Petite Ourse, alors que le jus – pomme, poire, kale, citron, gingembre -, le dessert à la courge rôtie et l’oeuf reflètent davantage l’identité gourmande du Café Albertine et de son brunch végétal mis en place depuis six ans.
« La trésorerie plonge… »
Ravie de cette collaboration, Solenn a décidé d’ouvrir récemment son Café Albertine, non sans hésitations. « Les aides sensées tomber ne sont pas négligeables, il ne faut pas cracher dessus. Après je n’ai pas de gros frais fixes, c’est une petite structure, les filles sont couvertes au niveau des salaires… Mais quand même, la trésorerie plonge, plonge… Là, je retente le coup de l’ouverture et franchement cette première semaine n’a pas été si mauvaise. Si on peut maintenir cela quatre jours par semaine, ça va, car sinon c’est trop long de rester chez soi. » Et, à l’image de quelques autres restaurants rennais, le Café Albertine est un habitué de l’emporter, « c’est donc plus facile de relancer la machine. »











Ce samedi matin, le Café Albertine dégage cette même impression qu’à la Petite Ourse, d’un restaurant sur pause. Un pan de mur entier est en attente de peinture rose pâle et un autre vient tout juste d’être tapissé. Mais, si ici aussi les tables ont été rapprochées, c’est pour mieux organiser la distribution des centaines de portions du brunch à emporter. Les clients du premier créneau patientent le long de la vitrine en respectant leurs distances. « Nous avons lissé l’affluence sur deux heures en créant des créneaux de retraits. On ne peut pas faire plus de vingt-cinq personnes par demi-heure, et au final, on s’aperçoit que les gens sont très compréhensifs. » Les paquets s’enchaînent avec fluidité. Chacun à son poste, Charlotte au « contact » avec les clients derrière une petite table installée devant l’entrée. À chaque client, les mêmes précisions et toujours le sourire des yeux : « Alors tout est déjà prêt et vous n’avez que l’oeuf à réchauffer. Régalez-vous ! » Plutôt jeune et parfois en famille, la clientèle vient des deux restaurants. « On a des clients d’Albertine qui voulaient découvrir La Petite Ourse et qui sont donc ravis, et réciproquement. Cela donne une belle dynamique. » Et même s’ils ne s’attardent pas pour récupérer leurs paquets, on sent effectivement des Rennais masqués mais heureux, les yeux plissés dans les coins, peu avares de compliments avant même d’avoir goûté. Restauratrice elle-même et amie d’Anouck, Clémentine est même venue « les yeux fermés. Albertine et la petite Ourse, je n’ai pas besoin de savoir en détail ce que je vais manger ! »










Au final, cent-deux paniers ont été envoyés. Une fois « la journée » terminée, Anouck, Charlotte, Solenn et Germain s’organisent un petit encas avec les beaux restes et débouchent une bouteille. Pas un debrief, mais un moment simple et joyeux, comme pour étirer un peu plus le plaisir d’être ensemble. « On s’est fait un shoot de clients, c’est magnifique ! » lance Charlotte. Lundi, le quotidien reprend son cours normal : Albertine ouvre à l’emporter et La Petite Ourse reste fermée en pensant à d’autres collaborations.
Texte & photos : © Olivier MARIE
La Petite Ourse : 48, Bd de la Liberté, 35 000 Rennes.
Café Albertine : 10, rue Comté de Lanjuinais, 35 000 Rennes