24 juin 2016

Cuisine plaisir pour les détenues rennaises

Par In Actus

J Lemarie detenues Rennes © Olivier MARIE-23

« Franchement merci, merci pour ce moment de bonheur. Qu’est-ce que cela peut me faire du bien de me réfugier ici, le temps d’un repas ! » Zaïa vient à peine de terminer son repas concocté ce midi par le chef étoilé Julien Lemarié, qu’elle repart aussitôt pour ne pas être en retard à son travail. Un travail qu’elle exerce, en tant que détenue, au sein du centre pénitentiaire de Rennes, regroupant environ 240 autres femmes. Ce midi donc, le refuge de Zaïa n’est autre qu’un ancien restaurant d’application, du temps où le Greta formait encore à la cuisine. Aujourd’hui la cuisine n’est plus enseignée dans la prison des femmes de Rennes, mais elle reste néanmoins un échappatoire. Une bouffée d’oxygène, pour les rédactrices de Citad’elles, le magazine entièrement réalisé par les détenues, encadrées pour l’occasion par des professionnelles dont la graphiste Delphine Marie Louis, la journaliste Audrey Guiller, l’illustratrice Magalie Arnal, la graveuse illustratrice Agathe Halais et enfin Alain Faure le coordinateur. « Dans le magazine, nous avons une fois par trimestre une rubrique cuisine pour laquelle nous invitons un chef à venir cuisiner en prison et se faire interviewer. » L’occasion d’un moment précieux de partage et de plaisir, « toujours très attendu, » confirme Anne-Héloïse Botrel, la coordinatrice culturelle membre de la Ligue de l’enseignement d’Ille-et-Vilaine. « Les filles attendent ce moment avec impatience, en parlent plusieurs semaines avant et de longues semaines après. »

Après notamment Guénola Rouzic, Maud Vatinel, Norbert ou encore François Guyot, c’est donc Julien Lemarié qui vient cuisiner avec les détenues. « C’est bien, si l’on peut aussi apporter un peu de joie, de partage, c’est intéressant. » Julien Lemarié n’est pas du style à s’appesantir sur les raisons de son choix. Il le fait, c’est bien l’essentiel.

D’autant que le chef, toujours en quête d’un nouveau challenge gastronomique à Rennes, ne fait pas les choses à moitié, apportant avec lui des pousses et des herbes de chez Vincent Bocel, préparant pour l’occasion des oignons et gingembre en pickles, manageant sans pareil les filles au moment de la préparation, répondant à toutes les questions, apportant sa bonne humeur, montrant des gestes simples… Car bien évidemment, il ne s’agit pas ici d’en mettre plein la vue et les papilles avec des ingrédients introuvables et des cuissons hors de porté. « On m’a donné une liste de produit cantinables * et je me suis cantonné à ces produits avec quelques bonus, » sourit-il. Histoire que les détenues, qui « cantinent » à la prison (chaque division possède une cuisine où les détenues peuvent préparer leurs repas en plus du repas classique concocté et proposé par la prison) et font leur propre popote, puissent enrichir leur quotidien de nouvelles recettes. « Celles que l’on réalise ce matin seront ensuite rédigées et illustrées dans le magazine N°11, distribué dans toute la détention et même au delà puisque Citad’elles est tiré à 600 exemplaires (consultable ici), explique Delphine Marie Louis. On essaye de proposer des idées pour que les repas soient, un peu plus équilibrés. »

C’est l’objectif du jour avec ce tartare de betteraves, ce tournedos de boeuf, purée mentholée, pleurotes aux poireaux, relevé d’une grémolata et de pickles de gingembre. « Et en dessert, on va faire une tourte au chocolat, rhubarbe… Mais comme il n’y a pas de congélateur, c’est mort pour le granité ! » Ravies d’un tel menu, les filles sont volontaires, en redemandent en cuisine. Julien Lemarié passe d’un « atelier » à l’autre, insistant sur la finesse de la découpe, le tri des herbes, faisant goûter les filles qui ne se font pas prier. Surtout pas Léa qui racle avec le doigt le cul de poule encore nappé de chocolat. « C’est bon, on est en prison, on n’est pas au restaurant ! » lance-t-elle en riant. Et même si Sylvie, originaire du Sud-Ouest, ne jure que par la graisse de canard et l’entrecôte cèpe à la bordelaise, elle se régale à table de ce tournedos parfaitement cuit et bien relevé. « Oh c’est bon, on se croirait au restaurant ! » A table, c’est aussi le moment pour Audrey Guiller de conseiller et accompagner Anja dans la conduite de l’interview de Julien Lemarié qui se prête volontiers à l’exercice. « Et cet après-midi, nous allons débuter l’atelier graphisme. »

« La dernière fois, on a eu la visite d’un chef qui nous a fait découvrir la cuisine italienne… On s’est régalées ! » confie Izy dont les préférences gourmandes vont à la « Pinda Soupe avec du pigeon, des cacahuètes,  du piment, des bananes… Mais j’adore aussi la glace rhum raisin ! » lance-t-elle dans un grand éclat de rire. Du rire oui, de la bonne humeur, de la gourmandise, du partage. Un moment de vraie cuisine en prison, aussi éphémère soit-il, c’est précieux.

*une liste cantinable est une liste d’ingrédients bien définie que les détenues peuvent acheter.

Texte & Photos © Olivier MARIE / Goûts d’Ouest

Les prénoms des détenues ont été volontairement modifiés et leurs visages volontairement cachés afin de préserver leur anonymat.

Écrit par Olivier Marie

Journaliste culinaire professionnel écumant les salles de restaurant et les cuisines de l'Ouest depuis plus de dix ans.

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Cuisine plaisir pour les détenues rennaises

par Olivier Marie temps de lecture : 4 min
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