« Alors que la France grelotte, le micro-climat de Plougastel vous a réservé une belle surprise : l’arrivée de nos premières fraises Gariguette au rayon fruits et légumes ! » Pour illustrer sa publication postée sur Facebook le lundi 8 février dernier (en plein épisode neigeux), Leclerc Plougastel publie une photo de son étal, montrant une accumulation de barquettes en plastique de fraises de la marque Savéol. Contrairement à l’effet recherché, une écrasante majorité d’internautes dénonce ce post hors-sol de Leclerc Plougastel, en cliquant sur le bouton « grr » et en affichant clairement sa colère. Leclerc Plougastel tente de réagir en arguant la défense d’un produit « local », sans effet. Le post est retiré dès le lendemain…
On pourrait se féliciter d’une telle bronca et se gargariser qu’elle ait finalement eu gain de cause, en contribuant au retrait de ce post indécent. On aurait tendance à se dire que les choses bougent… Ne soyons toutefois pas naïfs. Ces réactions outrées ne reflètent pas, loin s’en faut, le sentiment d’une large majorité des consommateurs. On mange des fraises en hiver, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, même si le vieil ottoman voltairien, pleurerait de devoir récolter les fruits de ses confitures dans un tel jardin surchauffé ! Cela fait bien longtemps que l’agro-industrie – qui pousse des cris d’orfraie et brandit la carte de l’emploi local lorsque quelques consommateurs vigilants osent la dénoncer – ne se soucie plus de saisonnalité, de bien-être, de la planète et de bon goût.
On pourrait alors se recroqueviller sur nos valeurs. Fermer les yeux sur ce monde de l’agro-industrie et ses canaux de distribution que l’on ne saurait voir, et nous réfugier chez nos « petits » artisans locaux, gardiens du temple des bons produits. Bien à l’abri dans notre nid saisonnier. La frontière est malheureusement bien poreuse, validant ainsi l’emprise globale de l’agro-industrie sur notre alimentation. Eh oui, même ici la saisonnalité est battue en brèche !
L’orgie hors-sol
À l’approche de la Saint-Valentin, c’est l’overdose sur les comptes Instagram et Facebook de certains pâtissiers, cuisiniers ou autres boulangers-pâtissiers. Ils débordent de douceurs rutilantes. Il faut du coeur à date, l’amour est rouge que diable ! Et qui dit rouge, dit fraises ou framboises, n’allons pas chercher plus loin. Cela tombe bien, tout n’avait pas été passé sur les bûches de fin d’année… À Rennes par exemple, plusieurs pâtissiers de renoms enfilent, à l’occasion, les framboises sans la moindre hésitation. Ici sur un macaron, là sur un framboisier… L’orgie hors-sol ne s’arrête pas à la fête commerciale des amoureux et se poursuit en mars et début avril où des cuisiniers de renom n’hésitent pas à ponctuer leurs menus de desserts aux fraises (coco ou sablé noisette c’est au choix m’ssieurs, dames) !
Un marqueur de la gastronomie bretonne
On entend déjà la parole de la défense : « Oh assez de leçons ! Nos fraises viennent de petits producteurs du sud de la France ! Et personne ne parle des ananas qui viennent de l’autre bout du monde ? » Certes. À cette différence près que la fraise de pleine terre est, à l’instar de la saint-jacques que l’on n’imaginerait pas cuisiner en été, un marqueur de la gastronomie bretonne. De fait, en Bretagne, cuisiner de la fraise en février, mars ou début avril est soit un affront lancé aux paysans bretons qui, courbés sur leurs sols, attendent mai pour récolter, soit une abdication devant la toute puissance de l’agro-industrie et d’exploitants agricoles qui chauffent à tour de bras pour avancer la récolte. Mais dans les deux cas, il faut que ces cuisiniers et pâtissiers assument et arrêtent de se cacher derrière le pitoyable argument « fraise de Plougastel » que l’on sait, à cette époque, entièrement cultivée hors-sol.
Le 11 avril, Olivier Clisson, paysan boulanger installé en bio à Parthenay-de-Bretagne, publie une vidéo sur son compte Instagram (c’est ici). En soulevant la protection du tunnel, on remarque quelques feuilles pointer le bout de leur nez. Un commentaire accompagne la vidéo : « Les Gariguettes ont survécu aux gelées et donneront leurs premiers fruits dans un mois environ. »
Eh oui, en Bretagne avant mai, les fraises c’est en terre et pas encore en dessert.
Précision : la photo illustrant cet article a été prise fin mai 2012 sur le marché de Vannes.
Texte : Olivier MARIE – Goûts d’Ouest
Merci. Reconnaissance à vous jusqu’à la 6ème génération. Je passe depuis des années pour une extrémiste de la fraise (et de la tomate), pour ne pas dire une emmerdeuse, auprès d’artisans, de pâtissiers, de responsables d’épicerie fines parisiennes, d’amis… ça fait du bien, on se sent moins seul(e).