La visite par le Président Emmanuel Macron d’une usine à tomates en Bretagne a du mal à passer chez beaucoup de paysans, cuisiniers et autres amoureux et défenseurs d’une agriculture propre et durable. Hervé Bourdon, chef du Petit Hôtel du Grand Large à Portivy (Morbihan), ne mâche pas ses mots. Une prise de parole précieuse, essentielle. Hervé Bourdon fait des propositions, en appelle au Président… et au chef de l’Élysée pour le sensibiliser.
« Le Président de la République Française, Emmanuel Macron, est donc allé en Bretagne remercier « La Ferme Française » pour son travail acharné. Il a sauté dans son plus beau costume, a enfilé des sacs en plastique au bout de ses John Lobb et a rendu visite à un négationniste du goût, un des piliers fondateurs de l’anthropocène destructeur : L’usine à tomates, le diable rouge, disponible en branche ou en vrac.
Monsieur le Président, ce que vous avez fait est insultant vis à vis de tous ceux qui se battent pour un monde meilleur.
Monsieur le Président, reprenez-vous !
Je crois savoir que vos attributions vous permettent d’avoir la chance de disposer des talents d’un grand chef chez vous. Peut-être que le moment est venu pour vous d’envoyer aux fraises (espagnoles) vos conseillers, et d’aller vous asseoir un bon moment avec Guillaume Gomez, le chef du Palais de l’Élysée, qui saura, j’en suis certain, vous expliquer ce qu’est un légume de saison, ce qu’est le travail d’un petit producteur, et pourquoi c’est leur travail d’aujourd’hui qui en donnera moins aux soignants demain.
Vous le savez comme moi, l’hypertension, le diabète et les maladies cardio-vasculaires ne sont pas une fatalité mais bel et bien la résultante malheureuse d’une alimentation aux habitudes déplorables, aux conséquences désastreuses et pérennes.
Monsieur le Président, c’est à vous qu’il incombe de créer le cercle de la vertu.
Souvenez-vous qu’une volonté farouche et politique a créé en 1945 la Sécurité Sociale.
Souvenez-vous qu’une volonté culturelle et politique a créé en 1948 le CNC.
Même la défense de la chanson française est passée en 1986 par une loi.
De ces trois « inventions » françaises, aucune n’est parfaite mais elles existent et sont le fruit d’un profond désir d’équité. Pour que chacun ait sa chance.
Alors pourquoi ne pas diviser par deux les charges sociales (patronales et salariales) des entreprises et des salariés qui travaillent dans des restaurants qui utilisent au moins 80% de produits frais ?
Pourquoi ne pas taxer symboliquement à 1% les produits de saison afin que leur valeur ajoutée véritable puisse nourrir le maximum de consommateurs ?
Pourquoi ne pas légiférer et imposer que 40% des ressources alimentaires utilisées dans les restaurants soient produites dans un rayon de 50km ?
Pourquoi ne pas inscrire dans les programmes scolaires deux heures de maraîchage hebdomadaires, histoire de donner une impulsion positive dès l’enfance ?
Pourquoi ne pas créer une taxe « hors saison » pour toutes les denrées qui nécessitent des ressources énergétiques inutiles lorsqu’elles sont produites en saison ?
Pourquoi ne pas rendre tout de suite obligatoire l’affichage des intrants chimiques utilisés pour la production de denrées alimentaires (végétales et animales)
Allez Guillaume Gomez !
J’en appelle à toi pour qu’il t’entende et t’écoute. Entre tes mains repose un espoir profond. C’est une opportunité historique pour que notre secteur rendu si fragile pose les fondations saines et sincères d’un futur qui de toutes façons sera difficile.
Et si tu arrives à capter son oreille, au détour d’un couloir, alors dis-lui de ma part (parce que je ne m’arroge pas le droit de parler pour les autres sans leur accord préalable) qu’il a fait une énorme boulette et au passage, pour qu’il comprenne peut-être, raconte-lui la fraîcheur d’une coque qui sort de l’eau, parle-lui du goût d’une carotte de Guérande, de la beauté d’un bouquet de blettes multicolores, de l’élégance d’une volaille de chez Fred Ménager, de la couleur d’un beurre de lait de vache Froment du Léon, des apports en sels minéraux d’une huître non triploïde, de la richesse enivrante d’une fraise de plein champ, de la fermeté délicieuse d’un poisson de ligne, de l’innocuité d’une farine de blés anciens, de la franchise d’un vin sans pesticide, de la complexité divine d’une pomme de jardin, bref, de la générosité de la nature et de ceux qui travaillent avec elle.
Et vous n’ayez pas peur Monsieur le Président, il ne vous veut aucun mal, car ce n’est qu’un cuisinier. »
Hervé Bourdon
Merci, merci, mille fois mercis