25 mai 2021

Olivier Roellinger : « je dois agir ! »

Par In Actus

Après des années d’engagement pour le bien-manger, Olivier Roellinger franchit le pas et s’engage en politique. Troisième sur la liste des Régionales Bretagne ma vie, le cuisinier breton explique son choix de rejoindre Daniel Cueff, détaille ses combats de demain pour une alimentation de qualité et contre le tourisme de masse qui dénature le charme de la Bretagne. L’auteur de Pour une révolution délicieuse en profite pour évoquer la « bulle gastronomique » dans laquelle évolue une certaine cuisine et déclarer surtout tout le bien qu’il pense de la nouvelle génération.

Olivier Roellinger dans le jardin du Relais Gourmand à Cancale (35) © Olivier Marie

Olivier Roellinger, on connaît vos engagements et vos prises de position pour la préservation de l’environnement et pour une alimentation durable, largement évoqués d’ailleurs dans votre livre Pour une révolution délicieuse. Pour autant, vous ne vous étiez jamais engagé politiquement. À l’occasion des Régionales, vous êtes numéro 3 sur la liste de Daniel Cueff. Qu’est-ce qui explique cet engagement aujourd’hui ? Aviez-vous besoin d’aller plus loin ? 
« Pourquoi cet engagement politique aujourd’hui… Je l’explique par une conjonction d’événements. Je me suis beaucoup occupé des Maisons de Bricourt, je me suis engagé auprès d’associations, notamment internationales (1)… Et depuis quelques années, Hugo a repris le flambeau en cuisine. Mathilde s’implique désormais dans les épices, Marine, la femme d’Hugo, est également venue nous rejoindre car c’est une aventure de couple… Il y a eu mon petit-fils… Puis, il y a eu ce livre en effet Pour une révolution délicieuse. Un livre que j’avais besoin d’écrire… J’avais besoin de donner mon point de vue sans donner de leçons. Je n’aurais jamais pu imaginer l’impact qu’il a eu. Associations, collectivités, politiques de tous bords… m’ont alors sollicité et interpellé en me disant aussi qu’il fallait que je m’implique davantage en Bretagne. Je me suis alors dit qu’il fallait aller plus loin et tenter de concrétiser quelques idées. Sur ces sujets d’urgence sociétale, économique, environnementale, culturelle, de santé publique… s’il n’y a pas de volonté et de réponse politique, cela ne marche pas. Je ne peux plus me contenter de dénoncer, je dois agir. »

Vous avez donc choisi de vous engager aux côtés d’un homme, Daniel Cueff, connu du grand public comme le « maire anti-pesticides » (2). Pourquoi Daniel Cueff ? Et pourquoi pas la liste Europe Écologie les Verts, compte tenu de vos combats pour un monde durable ? 
« Parce que nous ne sommes surtout pas une liste écologiste ! Nous sommes une liste humaniste. Comme le dit Daniel Cueff, « nous ne voulons pas aller derrière un parti, nous voulons aller derrière la Bretagne ! » Nous ne voulons pas dépendre d’un parti à Paris qui nous dise de prendre untel et une telle. Nous constituons une liste apartisane mais très politique. 
J’avais déjà travaillé avec Daniel Cueff, qui est avant tout un humaniste courageux et réaliste. Ce qui m’a séduit chez lui, ce n’est pas tant son combat contre les pesticides, que sa volonté de travailler avec les agriculteurs en Bretagne et de leur tendre la main. Ce n’est pas un combat contre le monde paysan que nous menons, mais un combat pour le monde paysan et contre les pesticides assurément. Nous avons des points communs avec les Verts mais l’approche est différente. On n’y arrivera pas en fracturant la société, ni en montant les uns contre les autres. Il faut construire avec l’ensemble des Bretons et des Bretonnes réconciliés. »

N’est-ce pas compliqué aujourd’hui en Bretagne d’être sur cette ligne de crête en essayant de contenter tout le monde ?
« Ah mais nous ne sommes pas du tout dans le « en même temps » ! Nous discutons avec tout le monde, soit, mais nous mettons des limites et nous prenons de vraies décisions. On fait table rase et on trouve des solutions. Oui, il y a des problèmes majeurs : celui des algues vertes, tout comme celui du revenu de nos paysans. Mais cela ne sert à rien d’accuser qui que ce soit, il faut créer un nouveau modèle. Nous allons, par exemple, mettre en place l’indicateur de prospérité durable. Nous devons faire des choix forts dans ce que nous voulons faire croître et dans ce que nous devons faire décroître. Nous ne sommes pas pour la décroissance mais pour une prospérité réfléchie qui n’abîme pas les ressources qui sont un bien commun. Nous savons depuis la nuit des temps que si l’on pousse sur la ressource, on l’asphyxie, on la tue et les conséquences sur les humains et l’environnement sont dramatiques. Les choix, il faudra évidemment les faire. Mais comme le dit magnifiquement Nelson Mandela : « Les choix doivent être le reflet de nos espoirs et non de nos peurs. »

La « Chouchen connection »

Vous vous rendez bien compte qu’il va falloir une force colossale pour faire bouger les choses en Bretagne !
« Mais c’est passionnant et je suis certain que nous allons y arriver. Nous allons nous inspirer des pionniers du Célib en 1951. La Bretagne était alors fracturée, meurtrie, abîmée après-guerre. Et là l’idée était : Tu es un Breton, tu aimes cette terre et tu y vis, qu’importe ta croyance spirituelle et ton penchant politique, tu es le bienvenu autour de la table. Cette énergie-là était exemplaire par rapport aux besoins de l’époque. Aujourd’hui, on a l’impression que la Bretagne vit en silo. C’est pourtant une terre de réseaux et ces derniers doivent s’ouvrir pour qu’il y ait des maillages entre les mondes de l’agriculture, de la pêche, des entreprises, du tourisme, de la culture… Ah oui, les réseaux existent bel et bien, mais dans le mauvais sens ! C’est ce que j’appelle « La Chouchen connection » que l’on peut voir dans l’indispensable BD d’Inès Léraud Les Algues Vertes. C’est peut-être à ce moment-là d’ailleurs que j’ai voulu faire de la politique, lorsque je suis intervenu dans l’un de ces fameux Dîners Celtiques où je n’ai pas mâché mes mots. 50% de la salle m’a applaudi et 50% m’aurait brûlé… et ceux-là, c’était les tout-puissants. »

Concrètement, sur quels thèmes allez-vous peser dans cette campagne des Régionales ? On imagine l’alimentation…
« Bien sûr ! Même si tout m’intéresse, je peux apporter mon expertise sur les sujets concernant l’alimentation au sens large : agriculture, pêche, élevage, apiculture, conchyliculture… Il y a un sujet qui m’intéresse particulièrement, c’est tout ce qui se passe au fond de l’assiette. Pas les assiettes des étoilés, mais celles de nos enfants et de nos aînés. 
Il se trouve que j’ai travaillé en interne pour un grand groupe pendant 10 ans. Nous avons tenté, avec d’autres chefs, de faire un travail de fonds pour diminuer les taux de sel, de sucre, les graisses saturées dans les fonds de sauce et toutes ces horreurs… Je sais qu’aujourd’hui ce n’est pas possible. Je sais qu’aujourd’hui la qualité, c’est du fait maison. Que les personnes qui travaillent dans la restauration collective doivent retrouver un sens à ce qu’ils font. Ces hommes et ces femmes qui sont bien souvent dans l’ombre sont les oubliés. On a oublié les investissements dans les matériels. On a oublié de les revaloriser. Les collectivités n’ont pas voulu assumer et se sont déchargées de leurs responsabilités en confiant la gestion des assiettes de nos enfants et de nos anciens aux grands groupes. Il faut en finir ! »

Pour une alimentation 100% fait maison, 80% locale et 80% bio dans les lycées bretons

Quels seraient vos propositions pour aller vers une restauration collective plus vertueuse ?
« Je souhaite, dans les 6 ans, que l’alimentation dans les lycées bretons soit à 100% faite maison, exclusivement en liaison chaude, 80% locale et 80% bio. Et que ceux qui vont me dire que c’est une idée utopique, aillent voir ce qui se passe dans la Cité Scolaire Alcide Dusolier à Nontron (24). Là-bas, c’est du 100% fait maison, local et bio ! 
Je demande à ce que l’on reprenne la main sur le marché de la restauration collective pour apporter une cuisine propre, saine, juste et délicieuse, en travaillant en priorité avec les produits bretons et bio. Pour ce faire, nous devons nous appuyer sur le travail formidable d’associations qui sont sur le terrain comme Les Pieds dans le Plat et la SCIC Nourrir l’Avenir. Aujourd’hui, on a les hommes et les moyens pour le faire ! »

On imagine qu’une autre compétence de la Région, comme le tourisme, pourrait vous intéresser…
« C’est un sujet qui m’est cher bien sûr. La Bretagne, c’est une mer et une terre. Nous avons l’espace maritime le plus riche de France, sinon d’Europe, avec un potentiel inouï. Et nous avons une terre, sacrifiée à l’intensif, qui devrait être le plus beau potager au-dessus de la mer en Europe ! C’est une évidence. Alors que faisons-nous ? Il faut là aussi un élan et faire des choix. Quels visiteurs souhaitons-nous pour la Bretagne ? Que pourrait-on écrire sous la notion de tourisme équitable ? Nous n’avons peut-être pas de monuments exceptionnels chez nous, mais nous avons ce qu’il y a de plus précieux, de plus fort mais également de plus fragile : le charme. Une histoire et de l’authenticité. Alors, il faut préserver ces atouts en ne cédant pas au tourisme de masse qui asphyxie nos pays touristiques. Lorsque je parle de tourisme de masse, je ne parle pas de tourisme populaire qu’il faut d’ailleurs faire revivre : où sont nos classes de mer communales qui, partout, permettaient à tous les enfants de venir profiter de la mer ? Parallèlement à ce tourisme populaire, il faut une douce vague, un slow-tourisme, une approche plus sensible où l’on va retrouver une harmonie entre l’Armor et l’Argoat. Ici, nous avons une carte énorme à jouer sur les produits de qualité haut de gamme. Réinventons les routes des beurres de vaches rustiques, celles des fromages bretons, celles des huîtres… Nous devrions proposer les meilleures charcuteries d’Europe. Nous devrions voir revivre des filières abandonnées comme celle des anchois qui seraient les meilleurs d’Europe, etc. »  

Quelle serait la place des professionnels du bien-manger dans cette nouvelle dynamique ?
« Cuisiniers et pâtissiers ont un rôle majeur à jouer. Ils vont être la vitrine de la Bretagne. La belle cuisine (je n’aime pas parler de grande cuisine), à mi-chemin entre la nature et la culture, est l’un des premiers vecteurs touristiques alors même que l’on n’a pas de passé traditionnel gastronomique. Mais si nous n’avons pas de passé, nous avons un avenir, ça c’est certain ! »  

« J’ai été dans cette tour d’ivoire, focalisé sur la « grande » cuisine… »

Pour cela ne faudrait-il pas que les professionnels des métiers de bouche prennent encore plus conscience de la dimension sociale et environnementale de leur métier ? 
« Je vais y aller avec des pincettes. Je ne veux pas donner de leçons car j’ai été dans cette tour d’ivoire. Avec nos pairs, nous avons commis une grave erreur. Nous nous sommes focalisés sur la « grande » cuisine française, la gastronomie avec tous ses podiums, avec tous ses Best, avec tous ses guides… à n’en plus finir. Nous ne partagions pas nos producteurs, nous avions nos équipes, nos clients et nos petits frissons au moment de savoir si nous allions obtenir une étoile ou autre dans le guide rouge, dans le guide jaune, etc. Mais c’était très pauvre en fait. Certains sont encore dans une bulle, ils n’ont pas pris la dimension sociale et environnementale qu’ils peuvent jouer dans leur communauté. Je le dis parce que pendant des années je ne l’ai pas fait ! Nous avons une responsabilité majeure car jamais nous ne nous sommes penchés sur l’assiette de nos enfants dans les cantines, celle des Ehpad, celle de la rue ! Nous n’en avions rien à faire ! Nous nous focalisions sur une alimentation élitiste sans nous occuper de ce qui se passait dans la rue. Pourtant, nous devons être les plus vertueux et les porte-paroles par rapport à cette transition écologique alimentaire qui entraîne une transition de société. C’est une des clés de voûte de cette transition. »

L’espoir n’est-il pas incarné par la nouvelle génération beaucoup plus vertueuse et engagée ? 
« Les jeunes font preuve d’une maturité et d’une clairvoyance qui nous éclairent tous les jours. Je veux aussi faire de la politique pour mettre en action ce que les jeunes souhaitent car ils ont parfaitement compris les défis de demain. D’ailleurs, ils sont dans le « facta non verba » ! Il faut que les jeunes cuisiniers et pâtissiers créent une dynamique et qu’ils impliquent tous les producteurs pour montrer cette Bretagne du vivant qui n’est pas hors-sol. Il faut tirer toute la filière et avancer ensemble agriculture, culture et tourisme ! À eux de montrer une cuisine bretonne qui soit le reflet de la mer et de la terre et qui soit d’une pureté sans nom. Demain sera bien mieux qu’hier ! Les tricheurs qui ne font que du marketing seront mis de côté. Ce monde-là s’effondrera pour aller vers du mieux. Beaucoup ont compris qu’une belle cuisine doit être l’expression de son milieu naturel, culturel et affectif… 
On ne peut pas commencer avec des produits qui ont un bilan carbone épouvantable, qui entraînent un dégât sur l’environnement, qui empoisonnent petit à petit et où des hommes et des femmes ont été exploités. C’est intolérable ! Si on ne prend pas en compte une dimension humaine et environnementale, on ne peut pas faire de la bonne cuisine. Ce n’est pas possible. Aujourd’hui, il faut être en résonance avec son territoire, avec les saisons et on se doit de partager ses produits, ses adresses de producteurs… 
J’ai du temps. J’ai quelques années. J’ai décidé de m’investir pour concrétiser toutes ces idées et que l’on aille plus vite et mieux pour la Bretagne. »  

1 – Olivier Roellinger est vice-président de Relais & Châteaux depuis 10 ans.
2 – L’ancien maire de Langouet (22) avait pris le 18 mai 2019 un arrêté limitant l’épandage de pesticides dans sa commune à moins de 150 mètres des habitations 

Interview réalisée par Olivier Marie le 21 mai 2021 à Cancale.
Photo © Olivier Marie

Écrit par Olivier Marie

Journaliste culinaire professionnel écumant les salles de restaurant et les cuisines de l'Ouest depuis plus de dix ans.
1 commentaire
  1. Thierry QUELAIS 25 mai 2021

    Respect pour cet engagement

    Répondre

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Olivier Roellinger : « je dois agir ! »

par Olivier Marie temps de lecture : 10 min
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