J’étais déjà tombé sous le charme du premier opus littéraire d’Eric Guérin, « De cette île en Bière, je vois l’horizon ». Parce qu’en 2009 déjà, le cuisinier ne nous donnait pas simplement à voir ses plats aussi agréables soient-il, à l’oeil comme en bouche. Mais parce que le chef de La Mare aux Oiseaux nous livrait son univers en partage. Et c’est justement ce que j’aime avant tout chez Eric Guérin, son univers, sa personnalité, ses coups de coeurs, ses blessures. J’aime chez lui cette retenue, son sourire, la justesse de son ton, sa capacité à se préserver et ne garder que le beau, son humanité, cette éternelle jeunesse.
Aujourd’hui, avec Migrations, Eric Guérin récidive. Non. Il va plus loin, nous en livre un peu plus sur ses sentiments, ses émotions qu’il n’hésite pas à projeter en tête de chapitres. Amour, Joie, Désir, Angoisse, Amertume, Enchantement, Volupté. Avec ci et là, des notes de voyages, des sentiments, des ressentiments, des images magiques. On pousse avec lui les portes dérobées de Cochin, on file en pirogue « matelassée » sur un lac birman, on se réchauffe à ses côtés au soleil de Mykonos, on chasse la bécasse en Brière… Je resterai aussi longtemps hanté par cette femme marocaine. Quelle image ! Une idée de l’angoisse selon Eric Guérin. Parfois le récit s’emballe lorsque nous traversons NYC, avant de nous poser un peu plus loin, toujours en Brière… D’Afrique en Grèce, de Japon en Birmanie, d’Espagne à Languidic, Eric Guérin ne nous lâche pas. On le suit délicieusement et lorsqu’on à la chance de le connaitre un peu, on devine derrière les mots, les événements heureux et malheureux. On retrouve des visages familiers, on imagine les compagnons de voyage… Le récit est ponctué de recettes, intelligemment amenées. Les cuisiniers s’attarderont quant à eux sur les données techniques des recettes. Je les vois davantage comme une passerelle entre lui et nous, ses hôtes. Et l’on prend ici, comme rarement, la mesure d’une véritable cuisine personnelle.
Et puis ce bleu omniprésent. Ce bleu qui ne nous lâche pas. Ce bleu obsédant. Celui de l’hirondelle, celui du cartable de cet enfant cambodgien, d’un graffitis au Laos, de la tenue du chef évidemment… Des barques d’Essaouira, celui des bourraches du hoummous, de Time Square, d’un longyi en Birmanie, de ce Rollier d’Abyssinie… Même les pommes de terres sont blanches et bleues ! Avec ce bleu, nous sommes comme suspendus entre ciel et mer. Comme une plume emportée par le souffle d’Eric.
Ce livre est puissant car personnel. La Force est définitivement avec ce chef si séduisant et, pour le coup, on lui pardonne même de lire du Trierweiler !
Olivier MARIE
Migrations, Eric Guérin, Voyages, émotions, cuisine. Editions de La Martinière. 32 €