9h00. Dans la cuisine de La Cantine des Ateliers, Romain Joly et Christophe Ducordeau accueillent ce matin Ghania Ismaiel et Ayat. La première est cuisinière, réfugiée syrienne d’Homs, la seconde est Palestinienne, traductrice de circonstance. Ce vendredi matin, elles poursuivent la mise en place en cuisine, nécessaire au service qui sera donné dimanche dans le cadre du Refugee Food Festival. « Nous allons proposer un brunch avec plusieurs assiettes, explique Romain Joly. On se débrouille ce matin pour faire à la fois cette mise en place de dimanche et accessoirement celle de ce midi, » lance le chef sourire en coin. « Non c’est vraiment cool de les accueillir. Au début elles étaient un peu timides c’est normal, mais hier par exemple on a senti qu’elles étaient beaucoup plus détendues avec des petites blagues… » La même décontraction semble de rigueur ce matin et les blagues sur le timing de la mise en place sont fréquentes, surtout lorsque Ghania se décide, sous les yeux écarquillés des deux bistrotiers, à couper les pistaches une à une pour préparer son gâteau de semoule. Ce Refugee Food Festival est aussi l’occasion d’échanges sur la cuisine, comme autour de ce sirop apporté par Ghania, qui interpelle Romain et Christophe. « C’est de l’eau et du sucre » traduit Ayat. Les Rennais plongent un doigt pour goûter. « Mais il y a du beurre aussi dans ce sirop ! » « Mais oui bien-sûr » lâche Ghania en rigolant, comme si le beurre salé était l’apanage des seuls Bretons…














Le Refugee Food Festival a occupé plusieurs cuisines rennaises la semaine dernière. La Cantine des Ateliers le dimanche donc, mais également Le Café Albertine le mercredi, Les Grands Gamins le jeudi, Bercail le vendredi et un stand le samedi sur le marché des Lices. Initiative internationale lancée en 2016 par Marine Mandrila et Louis Martin, le Refugee Food Festival se décline, à l’occasion de la journée mondiale des Réfugiés, dans de nombreuses villes du monde pour constituer des duos de chefs et tenter de porter un autre regard sur ces femmes et ces hommes déplacés de force. A Rennes, l’organisation a été confiée à trois jeunes femmes bénévoles enthousiastes : Anouck Meleard Soller, Héléne Hingant et Clémentine Ruello. « Franchement, nous sommes ravies de cette semaine qui a fait le plein de clients partout, comme dimanche avec les 80 couverts ! Je pense vraiment que les gens se sont régalés et, au-delà de l’aspect culinaire, étaient ravis d’une telle initiative à Rennes. »
« Nous avons vu une jeune femme épanouie… »
A chaque fois, les cuisiniers réfugiés semblent avoir pris un réel plaisir en échangeant avec leurs homologues rennais sur la cuisine, leur situation actuelle et leurs envies à venir. « Car c’est aussi l’idée, note Clémentine Ruello. Si les chefs réfugiés peuvent prendre des contacts, c’est important. Je pense que, dans l’ensemble, ces échanges ont été plus que bénéfiques. » Passionnée de cuisine sans être professionnelle, Hadil Jilibati, jeune réfugiée syrienne d’Alep, a assuré le service midi et soir au Café Albertine, en compagnie de la cuisinière Anouck Meleard Soller, régalant notamment les nombreux clients de délicieux kebbeh et Qatayef en dessert. « Nous avons longuement échangé sur la cuisine syrienne, nous sommes allés faire les courses dans une épicerie spécifique… On a même découvert sa playlist de musiques syriennes ! Franchement, à la fin de la journée, nous avons vu une jeune femme épanouie, confient Anouck et Solenn Nuñez, patronne du Café Albertine. Elle semblait vraiment avoir envie de poursuivre dans la cuisine. »


















Le lendemain, aux Grands Gamins, le service souriant de toute l’équipe et la bienveillance du chef Maxime Vignon n’ont pas eu raison de la timidité de Saïd Karem Waziri, réfugié afghan, actuellement en formation cuisine à l’Afpa. Qu’importe, les clients ont largement répondu présents (110 couverts) et se sont régalés d’une entrée aubergines yaourt bolanis, suivie d’un Palao kabouli ou d’un « plat végétarien que je suis allé chercher sur le blog d’une voyageuse, » témoigne le chef, ravi de cette initiative. « A un moment donné Saïd a regardé un contenant sur le feu et m’a dit « Là ça ne va pas… la vapeur et les arômes doivent être dedans pas dehors… » Alors on a couvert, on a étouffé avec des torchons car nous n’avions pas l’ustensile approprié. Dans leur culture culinaire, si ça sent bon dans une pièce, ce n’est pas bon signe, cela veut dire que les arômes se sont échappés de la casserole. C’est à retenir ! »



















Ces échanges en cuisine ont également été de mise à Bercail avec le Népalais Pandit Rajendra aux commandes du restaurant de Sibylle Sellam et Grégoire Foucher. « Pandit s’est très bien intégré et savait ce qu’il voulait proposer dès notre première rencontre. En gros nous lui avons donné les clés, il a fait ce qu’il voulait » sourit Sibylle. Cuisinier de métier, Pandit a notamment cocoté une belle entrée-grignotage à base de beignets de légumes, suivie d’un carry népalais particulièrement doux et d’un dessert associant carotte et une sorte de riz au lait…














Après six services en intérieur, le Refugee Food Festival a pris l’air, le samedi, dépliant un étal au coeur du Marché des Lices en proposant de nouveau une cuisine syrienne, composée ce jour-là par Khaled El Maslamani et Mohamad Ghazwan Altabaa. Les deux amis ont concocté plusieurs préparations moyen-orientales : houmous, fatayers aux épinards, taboulé, pâtisseries… Khaled El Maslamani réside en France depuis « quatre ans avec ma famille. Avant nous avions un restaurant au centre du marché de Daraa… Nous avons dû le quitter avec la guerre, traduit son fils. Quant à monsieur monsieur Ghazwan, il travaillait dans un restaurant à Homs. » Et évidemment, une fois de plus le succès a été au rendez-vous auprès de Rennais réceptifs, qui ont même pu bruncher le dimanche donc avec Ghania, Romain et Christophe aux Ateliers du Vent.












Ces cinq jours de cuisine métissée, souriante, ouverte vers les autres, source d’échanges et de découvertes semblent avoir été une véritable respiration pour les clients comme pour les cuisiniers. « Lorsque nous avons rencontré Ghania pour la première fois, elle n’était vraiment pas en forme, fatiguée, usée par des soucis personnels, raconte Hélène Hingant. Et puis lorsque je l’ai revue lors du premier rendez-vous avec Romain Joly, elle était souriante, maquillée. Elle était heureuse d’en faire partie… » Quelques jours plus tard, elle blaguait et riait franchement en cuisine. Réfugiée France depuis 5 ans, Ghania tenait un restaurant avec son père à Homs en Syrie, avant que la guerre n’éclate et ne les oblige à passer du « statut » de cuisinier à celui de réfugié. A la question de savoir si cette expérience rennaise ne lui donne pas envie de cuisiner à nouveau, Ghania pose son couteau, vous regarde droit dans les yeux et sort du plus profond d’elle : « Oui ! Oui ! Oui ! Bien-sûr, j’ai tellement envie… »
Texte Olivier Marie / Photos © Farzan Mirza Alizadeh et Olivier Marie
Le reportage photo a été réalisé en partenariat avec Farzan Mirza Alizadeh, jeune iranien passionné de photographie (photos créditées © Farzan Mirza Alizadeh dans le reportage). Pendant ces quelques jours de reportage, Farzan a reçu la confirmation qu’il était accepté l’an prochain en Arts du Spectacle à l’Université de Rennes. Bravo à lui et bonne chance !
Bonjour,
très belle initiative! bravo!!!
Je voudrais savoir comment on peut faire pour participer au Rennes refugee food?
Je suis née au Venezuela, mon pays vie une crise politique, il y a une pénurie alimentaire, il n’y a pas des médicaments, bref. Cette événement pourrai aider à faire connaitre un peu la cuisine vénézuélienne et mettre en lumière les difficultés du peuple vénézuelien…