13 mars 2021. Présente sur le marché des Lices depuis 4 ans, Églantine Touchais, paysanne fromagère éleveuse de vaches bretonnes pie noir, repart de Rennes ce samedi matin, la rage au ventre, dans sa ferme de La Boussac jusqu’à Dol-de-Bretagne, le coffre rempli de Gwell, yaourts, fromages blancs, tommes… Elle ne dispose toujours pas de place attitrée au marché, n’a pas été tirée au sort et ne peut donc vendre à Rennes ses trésors lactés. Des revendeurs de tomates (en mars !), ou de fromages trop colorés pour être honnêtes, pourront quant à eux déballer. Cette situation ubuesque ne date pas d’hier et n’est pas une première pour Églantine. En décembre 2014, c’est la caviste itinérante Aurélie Denais qui se voit refuser, toujours par le hasard du chapeau, l’entrée d’un marché des Lices qu’elle fréquente pourtant assidûment depuis plusieurs années. À l’approche des fêtes de fin d’année, Les Lices est essentiel pour cette travailleuse acharnée du vin nature et je la revois encore m’expliquer, les larmes aux yeux, sa malheureuse expérience. À l’époque, elle était donc rentrée chez elle, sans un centime en poche, au grand dam de ses habitués. On pourrait aussi évoquer Soline et ses délicieuses pâtisseries bio qui a longtemps été trimballée ici et là sur le marché des Lices, au hasard des tirages au sort, jusqu’à ce que sa clientèle ne la trouve plus. À force, découragée, elle a abandonné… comme d’autres.
Repenser la politique d’accès aux marchés
Le fonctionnement actuel de l’attribution des places au marché des Lices (et aux autres marchés alimentaires de plein air) ne va pas dans le sens d’une politique vertueuse du bien-manger. Aujourd’hui, trop de paysans et artisans de qualité, venus aux Lices pour vendre leurs produits et faire du lien avec les Rennais, sont renvoyés chez eux malgré des années de présence, au profit parfois d’autres commerçants non sédentaires, de passage et moins soucieux de la qualité de leur marchandise. La municipalité de Rennes, dont c’est la responsabilité, doit repenser la politique d’accès aux marchés alimentaires de plein air.
Les marchés sont le socle de la gastronomie rennaise
Forte de ses 15 marchés, Rennes est une place bien vivante de l’accueil paysan. Sans ces marchés, à commencer par l’emblématique marché des Lices, point de gastronomie rennaise ! De tous temps, les cuisiniers l’ont bien compris à commencer par Marc Tizon ou encore Olivier Roellinger, qui n’hésite pas à en faire encore l’éloge dans son dernier ouvrage « Pour une révolution délicieuse »… Sans compter tous ceux évidemment que l’on croise aujourd’hui et à qui l’on peut demander des idées de cuisson et autres astuces de cuisine ! Les marchés sont le socle de la gastronomie. Monument local considéré comme l’un des plus importants de France et régulièrement mis en avant, à juste titre, pour valoriser la ville, le marché des Lices doit être conforté dans son rôle de vitrine (régulièrement renouvelée) du savoir-faire des artisans et producteurs bretons.
La Commission Consultative du Commerce Non Sédentaire
À l’instar des autres marchés de plein air, l’agencement des Lices dépend de la ville et l’attribution des emplacements vacants reste la prérogative de la Maire, sur consultation de la Commission Consultative du Commerce Non Sédentaire (voir arrêté en suivant ce lien) dont les membres sont élus pour 5 ans (prochaine élection en 2022). Cette commission est composée de représentants de la municipalité, de représentants du groupement des commerçants non sédentaires d’Ille-et-Vilaine, de représentants des commerçants, d’un (??) représentant des consommateurs, d’un représentant de l’État… Elle donne son avis sur l’attribution des emplacements vacants, le fonctionnement des marchés, la création, le repositionnement ou la suppression des marchés ainsi que sur l’évolution et le respect du règlement. La mairie et la commission attribuent les places et, lorsque l’on n’a pas la chance d’en avoir une fixe, on patiente et on tire au sort chaque samedi matin à 7h30 (contrairement à ce que certains pensent, les premiers arrivés ne sont pas les premiers servis).
Impliquer les Rennais et les cuisiniers !
Dans une ville où la consultation citoyenne est particulièrement vantée, ne serait-il pas naturel d’ouvrir beaucoup plus largement cette Commission Consultative du Commerce Non Sédentaire aux consommateurs rennais, directement concernés par le contenu des marchés, et à des chefs cuisiniers clients du marché, véritables ambassadeurs du bon goût et toujours à l’affût de producteurs et artisans de qualité ? Est-il insensé de penser que consommateurs et cuisiniers, qui ont toujours fait la preuve de leur attachement viscéral aux marchés rennais et qui n’ont surtout aucun intérêt marchand dans l’histoire, pourraient avoir, au même titre que les commerçants, leur mot à dire sur l’attribution des emplacements vacants ? Ils pourraient ainsi favoriser l’accès au marché à tel ou tel, uniquement en fonction de la qualité de production ou de sélection de ses produits.
Il n’est pas question évidemment de faire de tous les marchés rennais des marchés de producteurs ! Nous avons besoin des artisans de qualité que sont les fromagers affineurs, cavistes, bouchers, charcutiers, pâtissiers, crêpiers… Nous avons également besoin de revendeurs, ne serait-ce pour nous approvisionner en fruits (citrons, bananes, ananas etc.)… Pour autant, on peut légitimement s’interroger sur la présence en nombre de revendeurs de légumes souvent hors-sols et hors saison ou de la multiplication des revendeurs de produits à la fabrication et provenance douteuses. En ce mois de mars (comme c’était évidemment le cas en février), les revendeurs de tomates, aubergines, courgettes, fraises (dès qu’une fête des amoureux ou qu’un rayon de soleil apparaît) etc sont très largement représentés. Peut-on continuer à mettre sur le même plan, et sans explications pour les consommateurs novices, producteurs maraîchers et revendeurs de légumes hors-sols ? Répondre par l’affirmative revient à penser que ceux qui, en hiver au sortir MIR (Marché d’Intérêt Régional), remplissent leur coffre de tomates, courgettes, aubergines ou autres fraises avant de les déverser sur leur étal du marché font le même travail que ceux qui patientent parfois jusqu’en juin ou juillet pour vendre des tomates de saison produites sous serres non chauffées (tout simplement parce que nous sommes en Bretagne) ! Notons au passage que des produits, vendus en saison, sont souvent moins chers que ceux qui le sont hors-saison.
À chacun d’assumer
Non, ce ne sont pas les mêmes métiers et l’on doit de fait davantage éclairer les clients qui, sans avoir à demander aux commerçants, aimeraient certainement acheter en connaissance de cause. La ville ne pourrait-elle dans ce cas éditer un plan des marchés indiquant la place des producteurs, artisans et revendeurs ? Celle des bios et des conventionnels ? Des « producteurs » de la mer (pêcheurs, ostréiculteurs, mytiliculteurs…) et des mareyeurs ?.. Non pas par opposer, mais pour informer. Ou redessiner la configuration des marchés afin que revendeurs et producteurs soient parfaitement repérables ? Il y a certainement bien d’autres idées à avancer, à l’instar de ce tirage au sort d’un autre âge. À l’heure des applis et autres moyens de communication pointus, ne pourrait-on pas arrêter les places plus tôt et prévenir ainsi la veille ceux qui ne seraient pas retenus (leur évitant au moins de griller de l’essence) ? Ne pourrait-on proposer deux chapeaux avec d’un côté les habitués et de l’autre les occasionnels * ? Le chantier est vaste, bousculera des habitudes et se heurtera donc à des crispations, mais peut-on en faire l’économie ? Une fois ces clés en main, les Rennais pourraient faire leur marché sereinement, n’empêchant ainsi personne de travailler, mais obligeant chacun à assumer.
Les Rennais (et les cuisiniers) doivent aujourd’hui se mobiliser pour qu’Églantine et ses confrères ne rebroussent plus jamais chemin, alors que nous sommes des centaines à attendre la fin de la semaine pour nous régaler de leurs produits. Lorsque nous choisissons et prenons plaisir à nous lever tôt le samedi matin pour aller à la rencontre de nos paysans et artisans sur les marchés, ce n’est pas pour croiser des étals teintés d’agro-industrie. Nous pénétrons sur les marchés en confiance, à leurs organisateurs de ne pas la trahir.
* Après échange avec Didier Le Bougeant, élu aux commerces et à l’artisanat, il semblerait que cette idée soit déjà à l’étude.
Olivier Marie © Goûts d’Ouest
Je suis bien au courant de cette affaire car c’est une collègue passager du marché. Son propos est déformé car elle ne remet pas en cause les revendeurs qui sont là depuis longtemps et abonnés, mais tous les nouveaux arrivants chaque semaine, français et étrangers, et qui par le tirage au sort, se placent s’ils ont un meilleur numéro qu’Eglantine ou moi qui vient depuis 5 ans minimun, tous les samedis. Il faut dire les choses comme elles sont.
Mais le marché a des règles qui ne sont pas respectées, puisque sont prioritaires en théorie les vendeurs qui font des produits frais. Consultez les lois.
Ensuite la halle Martenot n’est pas extensible, tous ces nouveaux arrivants plus les gens qui étaient à l’extérieur faisant du chaud sont venus à l’intérieur en faisant du froid, cela fait trop de passagers pour peu de places disponibles. Et il faut aussi une diversité de produits vendus. A moins qu’on veuille ne vendre que des poulets et du fromage, et du pain, ou des produits du pourtour méditerranéen. Le contexte actuel fait que plaiade de personnes se mettent à faire les marchés ce qui va poser pas mal de problèmes.