12 février 2014

Alexandre, cuisine nous ton histoire…

Par In Chefs/Tables

Avant lecture : Une fois n’est pas coutume, Goûts d’Ouest sort de Bretagne. Une fois n’est pas coutume, le papier s’écrit à la première personne tant l’expérience fut intense et personnelle… Je conseille à ceux qui ne connaissent pas encore La Marine et la cuisine d’Alexandre Couillon, de se contenter de lire sans s’attarder sur les images, afin de conserver toute la magie de leur futur repas.

Alexandre Couillon-La Marine-Noirmoutiers

La veille au soir, la tempête s’est confrontée aux côtes laissant place ce vendredi matin a un ciel d’hiver dégagé, rayonnant. Les carrelets en profitent pour sécher, les salines pour se réchauffer. Il est temps de rejoindre le bout de l’île de Noirmoutier, de s’amarrer au port de l’Herbaudière le temps d’un repas, le temps d’une rencontre. Dans cette Marine, j’arrive en terrain apaisé… après tout le monde. Bien après les tempêtes. Dans une heure, je serai d’ailleurs seul dans cette salle de restaurant tant espérée. Beaucoup ont annulé pour cause d’intempéries. J’ai bien fait de confirmer mon rendez-vous. Ce ciel est un signe, je le sens.

Ma dernière visite remonte à 2008. Alexandre et Céline Couillon inauguraient alors leur nouvelle salle. 2008. Autant dire une éternité au regard de l’actualité de cette maison de la Marine qui, depuis, accroche deux petits macarons blancs aux liserets rouges sur son fronton, réjouit les gourmands venus de tous les coins de la planète, attire tout ce que le landerneau médiatico-gastronomique compte de journalistes et de blogueurs avertis… J’en avais conservé un souvenir sincère, souriant, naturel. Ce même sourire qui m’accueille 6 ans plus tard. Et là encore, ironie de ma petite histoire avec cette maison, Alexandre me dévoile encore un nouveau projet.

La Marine, côté jardin…

Vous aimiez La Marine côté port, apprêtez-vous dans quelques mois à vous enthousiasmer côté jardin. Une vingtaine de madriers d’un ancien embarcadère finissent d’ailleurs de sécher contre un mur à l’arrière de la maison. Après avoir baigné plusieurs années en mer, ils vont bientôt s’arrimer à La Marine. Un jardin déambulatoire, pour se pauser, prendre un verre, discuter, rencontrer, s’imprégner plus avant de l’histoire d’Alexandre Couillon… Un jardin bientôt peuplé de recoins, de matières liées à l’histoire d’Alexandre. Une fois de plus, rien de conceptuel, rien d’artificiel. Du naturel. «Nous prenons notre temps pour raconter notre histoire en étant les plus sincères possibles.» Bientôt, avant de passer à table, les hôtes pourront jeter un oeil dans cette cuisine, désormais plus lumineuse après avoir fait sauter un pan de mur. Bientôt les hôtes pourront même s’attabler dans la nouvelle salle très nature, autour d’une ancienne table en bois. Un espace tout en transparence, avec vue sur la cuisine et servie directement par les cuisiniers en personne.

Lorsqu’il raconte sa nouvelle aventure et plus largement son travail, sa cuisine, Alexandre Couillon revient sur son histoire, passe par son enfance, arrive sur son quotidien, décrit sa terre… Pourquoi diable irait-il chercher ailleurs ? Pourquoi irait-il copier, récupérer ? Son inspiration est à portée de main, de vue, sous ses pas, sur cette île, dans l’océan qui la borde. Alexandre Couillon cuisine sa vie, sa terre. La vérité s’impose, évidente, cohérente. Cette vérité nous envahit, nous submerge d’émotion au moment du repas. Mais je vais déjà trop vite…

Seul donc, attablé devant la fenêtre, le regard grimpant sur les mats à quai. Je n’ai vu aucun plat, aucune publication avant de m’installer sur cette chaise de cuir blanc. Le coup de foudre n’en a été que plus éclatant. J’avais raison de me préserver. Les «crack» comme il les qualifie, se suivent à bon rythme. Déclinaison de pomme de terre, croustillant et pesto d’algue, oeuf et peau de poisson cuisinée et travaillée comme une couenne, feuille de betterave et raifort, truffe maquereau et café, suivi d’une trilogie yaourt de crevette grise / jus de carotte mousse de lait de chèvre granité de criste marine / tourteau topinambour. «Des touches de goûts qui sont d’ici. Pourquoi y mettre de la truffe par exemple ? C’est ici que ça se passe pour moi. Il n’y a pas la richesse d’une ville qui aurait pu faire commerce de truffe…» Jamais repas n’a si bien débuté. Jamais. Les goûts, les textures, la mise en scène et l’harmonie de cette préface gourmande laissent pantois. Déjà… Les chapitres suivants, magnifiques, content une histoire où l’auteur semble se mettre à nu. On le devine déambulant ainsi sur le littoral, emmitouflé, accompagné de sa jeune équipe, s’inspirant d’un bois flottant, cueillant cette tétragone fouettée par les embruns qui renforcera le poireau crayon et le turbot dans l’assiette parsemée de salicorne… On le retrouve plus tard en forêt, sous les pins du bois de la Chaize comme nous le signalera en dessert cette quenelle glacée, le pas amorti par une jolie mousse. On partage ses voyages, lorsque, inspiré par une soupe thaïlandaise en aigre-doux, il interprète en couleurs et textures cette assiette de coque, palourde, vernis, crevette vivante des marais, étrille… Alexandre Couillon nous narre son enfance, gardé l’été par une famille d’accueil, à la campagne. Une histoire à la Grand Chemin. Des choses simples, naturelles, paysannes, terreuses, heureuses et marines comme ce pigeon cuit sur coffre, céréales avoine et tourteau. Ces plats parfois relevés de laurier, lointain souvenir de grand-parents pauvres qui, faute de mieux, parfumaient les plats de laurier du jardin. Comme toute belle expérience, on sent poindre la fin sans vouloir refermer le livre. Non pas un livre de recettes, mais un roman. Une histoire harmonieuse, libre et sauvage qui nous émeut avec ses drames (l’huître souvenir de marée noire…) et avec ses coups d’éclats comme cette Saint-Jacques éclaboussée de myrtilles et de persil, ce cabillaud de pays, sa betterave et son chou fleur boucané… entêtant. Puis une douceur avec le sucre résiduel du champignon céleri se frayant un chemin jusqu’au dessert… Quel passage ! On n’en revient toujours pas…

Alors forcément, à un moment la lumière se rallume, la dernière page se tourne après une assiette d’agrumes de Michel Bachès… On reste hébété devant cette expérience si novatrice. Le repas cuisiné, créatif et contemporain d’un artisan-conteur de 38 ans.

Epilogue…
Il est déjà temps de revenir en Bretagne (désormais il existera toujours pour moi un Gois imaginaire reliant La Marine à la Bretagne)… La Bretagne, une chance pour tous les cuisiniers vivant sur cette terre tant contée. Que d’histoire fabuleuses à cuisiner. Je balaye ma bibliothèque gourmande… Bellin, Guérin, Bourdon… Un frisson me traverse. Putain d’auteurs !

Olivier MARIE – Gouts d’Ouest 

Écrit par Olivier Marie

Journaliste culinaire professionnel écumant les salles de restaurant et les cuisines de l'Ouest depuis plus de dix ans.
1 commentaire
  1. Sylvie Gautron 12 février 2014

    Putain d’article!

    Çà donne juste envie d’aller découvrir cet univers…Une cuisine contée de terroir simplement.

    Répondre

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Alexandre, cuisine nous ton histoire…

par Olivier Marie temps de lecture : 5 min
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