Au premier coup d’oeil, celui glissé furtivement au travers de la baie vitrée du restaurant histoire voir de quoi il en retourne côté ambiance, La Tête en l’air ressemble à un joli petit bistrot vannetais resserré sur une grande et unique salle… Les apparence sont souvent trompeuses et, là encore, il ne faut pas se fier à ce trop rapide aperçu. Un plan du restaurant dessiné à la craie sur la devanture, façon Dogville, nous montre d’ailleurs que l’histoire se poursuit dans d’autres salles jusqu’à la dernière, flanquée d’une cuisine ouverte. Même l’esprit bistrot est trompeur comme on le verra plus tard… Bref, ici, il ne va pas falloir se contenter des apparences mais, au contraire, se préparer à aller de surprises en surprises. Et belles les surprises, voire même très très belles… N’attendons pas plus longtemps pour mettre en scène les deux protagonistes de cette Tête en l’air. Deux jeunes autodidactes talentueux : Estelle et Clément Raby. Ensemble, ils s’affranchissent des codes et savourent leur chance de n’être pas engoncés dans un style, une convenance, un héritage.
« C’est vrai que je ressens une grande liberté en cuisine. Je n’ai pas d’interdit tant que les assiettes sont cohérentes, de saison, bonnes et belles si l’on y arrive. C’est en tout cas une cuisine que j’aime manger… Mais tout n’arrive pas facilement. Je suis un laborieux en cuisine, j’ai la tête dans les bouquins… un véritable étudiant ! » Cette liberté s’accompagne d’une réelle ouverture sur les autres. Sans mentor, Clément Ravby est friand « d’échanges, de conseils avec mes confrères. Dans ce pays de Vannes, nous avons la chance d’être entourés d’excellents cuisiniers, les étoilés en tête. Et on ne parle pas des gens de notre rue qui nous ont magnifiquement accueilli et avec qui nous échangeons quotidiennement. » Sans oublier évidemment la jeune équipe de La Tête en l’air. « Le lundi soir, nous nous posons avec Yohan, mon second, pour caler le menu de la semaine. » En salle, Estelle s’accorde quant à elle avec Loïc, sommelier et ancien caviste, et Guillaume récemment arrivé. En cuisine, l’équipe est complétée par Thibaut et Kamilia l’apprentie.
Liberté, ouverture d’esprit, environnement propice, producteurs… Tous les ingrédients sont réunis pour donner une cuisine de caractère, personnelle. Difficile alors de cacher son excitation au moment de s’attabler dans ce restaurant de 35 couverts à l’ambiance finalement très bistrotière avec ses chaises dépareillées, ses carafes en fer et ses tables en bois brut non nappées. Bistrotière dans la décoration mais certainement dans l’assiette où là, Clément Raby nous la joue clairement gastronomique. Mais avant de plonger dans l’assiette, la surprise nous vient aussi, et surtout, du choix de ces menus déclinés en 3, 5 ou 7 plats… à l’aveugle ! Un parti pris osé, décidé en mars 2017 après avoir obtenu le Bib Michelin, mais un parti pris tellement évident lorsque l’on tente de comprendre le travail d’Estelle et Clément. La liberté au service de la créativité. « Tout n’a pas été simple évidemment, reconnait Clément. Au départ, nous avons eu un peu de mal, mais le déclic est arrivé avec un papier dans la presse locale, un bon bouche-à-oreille et aujourd’hui pour rien au monde nous ne reviendrons en arrière… J’ai même envie de supprimer le 3 plats au dîner pour nous concentrer sur le 5 et le 7 plats. » Quitte même à renoncer au Bib « qui ne convient plus à nos formules… et nous allons certainement augmenter nos prix pour toucher des produits un peu plus nobles en poissons et viandes. »
Allez on plonge sur un 5 plats aux portions parfaitement ajustées ! Là encore, l’expérience du repas à La Tête en l’air est bleufante car pétrie de belles surprises en bouche. Après avoir été joliment mis en appétit par un sponge cake au basilic et des petites chips de riz souflé chizo et crème cacahuète, la pré-entrée continue de nous ouvrir sereinement la bouche avec ce petit épeautre émulsion de parmesan et fumet de langoustines. Suivront les ravioles d’escargots écume d’ail, épinards persil et menthe puis, en terre bretonne, ces betteraves pomme et chèvre. On avance, ici en rondeur, là en éveil jusqu’aux plats avec un Saint-Pierre émulsion haddock et butternut puis un canon d’agneau d’une cuisson millimétrée, relevé de céleri, dattes et citron. La juste pointe d’acidité en leitmotiv, avant qu’un parmesan étonnant puis un dessert de cuisinier, raisins tièdes et noix, ne concluent un repas qui bouscule certaines certitudes. « C’est vrai que les gens se prennent au jeu du menu à l’aveugle, précise Estelle qui assure un service en salle d’un naturel et d’une bienveillance désarmant. Du coup, le repas ne passe pas du tout inaperçu, les gens font attention à ce qu’ils ont dans l’assiette, » et Clément de rajouter « nous avons même des gens qui n’aimaient pas tel ou tel produit et qui l’ont mangé et apprécié sans savoir ce que c’était. »
Une grosse personnalité, des prises de risque, du respect et surtout un vrai talent, La Tête en l’Air d’Estelle et Clément Raby fait partie des gros coups de coeur de Goûts d’Ouest. Décidément, l’avenir semble appartenir à ces jeunes qui nous surprennent et assument leurs choix dans des maisons décontractées.
La Tête en l’air, 43 rue de la Fontaine, 56 000 Vannes – Tel. 02 97 67 31 13
Texte & Photos © Olivier MARIE
TELLEMENT VRAI, BRAVO A EUX? ET MERCI OLIVIER DE NOUS FAIRE D2COUVRIR TOUS CES TALENTS.