9h30, vendredi 5 juillet, quais de Portivy. La brume marine se dissipe peu à peu et celui que l’on nomme ici l’Amiral remonte tranquillement la rue du port, une araignée dans une main, son panier en osier discrètement recouvert d’une petite serpillière, dans l’autre. Des antennes trop curieuses et quelques coup de queues bleutées trahissent son secret. Laissons-le donc en bonne compagnie… Hervé Bourdon lui, n’a rien à cacher. Engoncé dans le cockpit longiligne de son navire gourmand et armé de sa lame japonaise, le chef du Petit Hôtel du Grand Large s’attaque aux bars et lieux de lignes, pêchés il y a quelques heures au large de Lorient. Des pièces immenses comme il les aime. «Je ne suis pas bien là ? A la lumière naturelle, avec mes poissons et avec vue sur mer !» Hervé Bourdon ne laisse à quiconque le soin de parer les poissons. Non pas que Grossse Légume ne fasse confiance à Poilo, Hummer ou Chiken Jo, les autres membres ainsi surnommés de son équipe (Julien, Sébastien et Louis). «Non, j’aime ça tout simplement, le contact physique avec le poisson, la découpe.» Les bars et lieux seront d’ailleurs tronçonnés avec peau avant cuisson ce midi ou ce soir sur l’immense teppanyaki qui trône depuis peu dans la cuisine ouverte sur la salle. Un outil hors norme à la mesure de sa passion du poisson. Tout à l’heure, au moment du service, il sortira ses pavés bien en amont de la cuisson, «pour qu’ils reposent à température ambiante,» et seront, le moment venu, grillés tranquillement sur l’immense plancha pour donner une mâche, une caramélisation et une croustillance en parfaite harmonie.
Mais ce matin, le poisson n’est étonnamment pas l’affaire du jour. Retour sur un sms reçu en avril. Extrait : «Notre volonté de diriger notre cuisine vers quelque chose de tout à fait radical est un challenge très difficile à réussir… Mais nous faisons je crois de jolis progrès…» Lorsque Hervé Bourdon l’engagé évoque un changement «radical», «une grande secousse», le poil se hérisse, le palais s’assèche, les idées les plus folles se bousculent. «Cet hiver, avec Catherine, nous avons fait une rencontre fondamentale avec Lise et Bertrand Jousset, vignerons à Montlouis sur Loire. Ces gens-là ont tout compris, ils ont un tel attachement à leur terre ! Leur conscience du terroir est impressionnant. Cela a été un choc. Je pense que la vérité est bien là, dans ce prolongement… Aujourd’hui je veux que la personne qui s’attable chez nous retrouve l’expression de la presqu’île en bouche. Je veux qu’elle poursuive son voyage, en toute honnêteté… Sans pour autant être taxé de locavore car je ne m’interdirais jamais de cuisiner une vanille de Tahiti ou un ananas de Guadeloupe !» Ce nouveau voyage passe désormais par les plantes. «J’ai mis la tête dans le poisson pendant des années parce que je n’y connaissais rien ! Aujourd’hui, j’ai besoin de le servir, c’est une question d’honnêteté, de sincérité. Lorsque tu te bats pour avoir le meilleur poisson, sauvage, bien pêché et respecté après sa pêche, tu ne peux pas faire ce que j’ai fait pendant des années, acheter du shiso au MIN de Nantes ! A un moment donné il y a quelque chose qui ne colle plus. Cette découverte des végétaux est comme un prolongement… Et surtout c’est aussi très agréable !» Voilà pour la philosophie, le reste se fait à pied.
Avant de partir en cueillette, Hervé Bourdon fait un petit détour par son jardin partagé, travaillé par Patrick. Semences Kokopelli évidemment. Il y a là de la moutarde brune japonaise, de l’ail sauvage, de la ciboule du japon, de la rhubarbe, de la bourrache… «Cette feuille de bourrache sent et goûte le concombre et l’huître. Mais qu’est-ce qu’on va se faire chier à aller acheter de l’huître végétale produite en Hollande alors qu’on en a à portée de main ! Alors évidemment c’est peut être plus subtil, moins putassier, il faut parfois réfléchir…» Quelques coups de ciseaux, un coup d’oeil attentif à l’évolution des semis et c’est parti pour la balade. Premier arrêt le long d’un muret de pierre bordant le sentier. «De l’arroche maritime, que l’on nomme ici pourpier de mer… C’est iodé, végétal… On fait cuire dans la poêle et ce sont des épinards.» Quelques mètres plus loin, Hervé s’engage sur une friche abandonnée. «Alors là c’est rigolo, je pense que quelqu’un a eu un jour la bonne idée d’y planter de la tétragone qui s’est remise à pousser à l’état sauvage. Et voilà, cela nous donne un joli champ de tétragone cornue que je cueille depuis 4 mois. Je la sers avec de la purée au thé fumé et avec le bar.» Il en profite également pour couper quelques mauves avant de repartir sous le bêlement des moutons voisins. «Ici en avril, j’ai de l’ail aux trois angles et là, regarde, c’est de l’oxalis, la petite oseille… Qu’est-ce que je m’en veux de ne m’être pas rendu compte de toute cette richesse plus tôt ! Mais tout va si vite. Je regarde mes livres deux fois par semaine pour ne rien rater. J’en découvre tous les jours » comme récemment cette Molène Bouillon Blanc, un épi de petites fleurs jaunes «qui ont, pour moi, un goût de beignet aux pommes.» Après avoir enjambé la ligne ferroviaire du fameux Tire-Bouchon, on tombe sur un spot de menthe aquatique. Il y a là aussi un pied de sauge et un laurier sauvage. En revenant sur nos pas et avant d’attaquer la dune, Hervé pose son nez sur des fleurs en ombelles qui l’intriguent encore, picore quelques mûres, coupe du lamier pourpre pour «son goût de petits pois frais qui amène de la verdeur,» dévoile les boutons des roses trémières qu’il essaie de travailler comme des câpre au vinaigre… «J’aimerais trouver la vérité de chaque plante et faire ressentir ce qu’elle a au fond d’elle. Le végétal cantonné à un rôle de décoration de l’assiette ne m’intéresse pas. Je voudrais radicaliser mes plats car les clients pensent que nous sommes dans la décoration et, du coup, ils ne mangent pas. C’est désolant !»
L’un des plats emblématiques de cette nouvelle démarche est travaillé autour d’un lieu de ligne, «un poisson que je vénère, bien feuilleté qui épouse le palais. Le plat est conçu autour des herbes avec un bouillon de cosses de petits pois et de menthe aquatique. Il doit y avoir 10 ou 12 herbes différentes sur ce plat. Je veux que les gens ressentent la cueillette. A chaque bouchée, c’est comme s’ils se penchaient pour ramasser une herbe…» Poursuivre la balade gourmande en presqu’île de Quiberon avec ce plat de seiche noire broyée accompagné de son jaune-orange d’oeuf cuit à 65,5°C. «Il faut s’attabler au restaurant, poser son regard sur le large et observer le soleil se coucher sur les rochers…» Tiens justement, s’attabler au restaurant… Là aussi, du nouveau (ah ces tables flanquées de leurs ingénieux tiroirs !), même si ce n’est pas la révolution. La salle et ses muses lumineuses. De la simplicité et des sourires à revendre chez Catherine, Anne et Mathilde. Quel bonheur ! Elles sont les narratrices du voyage gourmand, déposant tour à tour, ce maquereau rincé au vinaigre de riz accompagné de sa sauce ponzu, d’une glace de riz japonais et d’une mauve, ce foie gras de canard de Jean-René Anizan cuit à 65°C pendant 38 minutes aromatisé au café de Vérone, ces pouce-pieds, purée de chou-fleur criste marine et algues séchées, ce bar, écume de sarrasin artichauts et fleurs de la presqu’île ou, encore, ce fabuleux dessert aux fraises nappées de roquette sauvage…
«Je suis en train de trouver mon ADN avec cette démarche. Réaliser une cuisine que je ne peux répéter nulle part ailleurs. Ce qui m’inspire c’est Catherine, la presqu’île, son environnement…»
Olivier Marie / Gouts d’Ouest
Le Petit Hôtel du Grand Large / 11 Quai Saint-Ivy, 56510 Saint-Pierre de Quiberon
Tel. 02 97 30 91 61
Les assiettes de Cyril Dennery
La cuisine endémique d’Hervé Bourdon est servie dans des assiettes à l’avenant. Des assiettes magnifiquement brutes réalisées par un architecte passionné de céramique, Cyril Dennery. «Installé à Quiberon, c’est un fou d’herbes sauvage, qui travaille les matières endémiques de la presqu’île comme la vase, les cendres, le sable… C’est le genre de type qui marche pieds nus pour ressentir les forces telluriques de la terre ! J’adore ce genre de personnage.» Des assiettes aujourd’hui uniquement réalisées pour Le Petit Hôtel du Grand Large.