9 décembre 2015

Fumeur de Saint-Jacques !

Par In Producteurs

SaintJacques Fume © Olivier MARIE-4

12h00 sur le port de pêche de Saint-Cast. Les coquilliers déversent les uns après les autres leur gourmande cargaison sur la jetée. Happés par leur labeur, les pêcheurs n’ont évidemment pas le temps de respecter la minute de silence, ce lundi 16 novembre 2015. La coquille, pêchée quelques heures plus tôt dans la baie de Saint-Brieuc, doit être déchargée au plus vite. Les chalutiers armés de dragues se pressent déjà derrière, à la queue leu leu. Il y a là Loup des Mer, Moïse, Matéo Steven… Mais le bateau qui intéresse Wilfrid Quinveros, c’est Mon Copain d’Axel Fily. Le voici d’ailleurs qui s’avance… « Lorsque je suis arrivé pour la première fois ici en disant que je voulais fumer de la Saint-Jacques, on m’a observé avec circonspection. Et j’ai moi-même sélectionné mes bateaux. Axel fait une pêche délicate, il n’embarque pas des tonnes de sables. Ses coquilles sont parfaites ! » Aujourd’hui, Wilfrid emporte 80 kilos de coquilles, « ce qui représentera entre 9 et 10 kilos de noix. » Pour les coquilles, le patron du Fumoir de Saint-Cast travaille, d’octobre à fin avril, avec celles de drague sur les gisements briochins et malouins, et, de décembre à fin mai, sur celles de plongées, « essentiellement sur le gisement de Saint-Malo. Je choisi les miennes à 11 centimètres de diamètre, pas trop grosses non plus pour que les fibres ne s’affaissent pas. Elles vont avoir un muscle ferme et compact, nécessaire pour le salage. Et puis à Saint-Malo, la coquille de plongée repose sur des fonds entourés d’une flore riche, notamment en laminaires, ce qui a donc un impact sur le goût. « On note une belle concentration en arômes noisettes et sucre. »

Wilfrid Quinveros tranche dans ce monde des producteurs. « C’est une reconversion professionnelle en fait, note-il. J’ai passé auparavant 17 ans dans le monde du labo pharmaceutique, chez Boiron. Mais n’allez pas croire que c’est une lubbie de la quarantaine ! » 3ème enfant d’une famille où son frère et sa soeur ont rapidement bifurqué vers la restauration, « mes parents avaient d’autres ambitions pour moi, alors que je voulais être cuisinier à 10 ans… et que je passe tous mes week-end à cuisiner ! » Il y a mis le temps, mais le voici aujourd’hui au coeur de ce monde gastronomique, passerelle entre la pêche et l’assiette. Car la passion de Wilfrid, c’est la salaison. « Je voulais prendre le sujet à contre-courant. Sans faire du saumon mon atout principal. » Alors Wilfrid débute par… le rouget grondin ! Quelques essais plus tard « et c’était parti, avec le chef de la Thalasso de Pléneuf, Jérôme Barbançon qui m’a fait confiance. » Un premier produit ancré, Wilfrid a alors besoin de se différencier avec « un produit premium qui me donne de la visibilité. » Ce sera la Saint-Jacques qui représente aujourd’hui 30 % de la production du Fumoir de Saint-Cast. « L’églefin d’Erquy représente plus de 40 % et le reste se fait sur le saumon (irlandais biologique, écossais Label Rouge et français d’Isigny), le maquereau, le lieu etc. »

De retour à l’atelier, Wilfrid décharge les sacs de coquilles, pris en charge, pour le décorticage, par sa soeur Corinne et Maud, la nouvelle venue. Les noix sont ensuite salées et dessalées dans la journée avant de passer une nuit entière en chambre froide pour les sécher. « Demain nous les fumerons et nous les laisserons encore une nuit entière en affinage avant de les conditionner. » Des étapes apparemment anodines, mais fruits d’une intense réflexion. « Tout au long du processus de la fumaison, je suis dans un objectif de perte de poids, sans altérer les fibres et en respectant l’équilibre gustatif du produit. » Wilfrid Quinveros adapte notamment le salage et le fumage aux noix de drague ou de plongée. « Pour la drague, j’opte pour un sel gris Nature et Progrès. C’est le premier sel extrait après la fleur. Un sel riche en oligo-éléments, très minéral… mais très humide. Je fais alors une extraction lente de l’eau contenue dans les cellules, ce qui va me permettre de conserver des textures souples, moelleuses, avec un taux de salinité beaucoup moins marqué, tout en restant dans le cahier des charges. » Pour la coquille de plongée, « j’utilise de la fleur de sel de Guérande. Je ne travaille pas sur la fine fleur car elle a une action d’exosmose ultra-rapide ce qui va brûler en surface, croûter, et donc avoir un taux de salinité élevé. Ici, j’ai le bon échange entre extraction de l’eau tout en conservant une belle texture. » Nous n’en saurons pas plus sur les temps de repos, fumage etc. que Wilfrid Quinveros préfère taire. Ce qui n’est pas le cas des bois utilisés pour le fumage. « Des bois issus d’une déforestation raisonnée ! Chaque arbre abattu est replanté. » Une sciure de hêtre, offrant un fumage plus fin. « Pour la Saint-Jacques, je vais associer des copeaux de fûts de chêne de whiskies écossais qui va développer le goût noiseté et sucré de la Saint-Jacques. » Comme pour le saumon ou l’églefin, le fumage se fait à froid, en combustion lente, avant de se reposer « un certain temps » pour ancrer les arômes et les parfums au plus profond de la chair. Les Saint-Jacques seront enfin commercialisées, « natures. On ne trouvera jamais ici des produits parfumés aux algues, aux épices etc. C’est aux cuisiniers d’apporter la valeur ajouté à ce produit. »

Et justement, ce jour-là, Maxime Crouzil et son équipe (restaurant Chez Crouzil à Plancoët), désireux de comprendre cette fameuse Saint-Jacques fumée, accompagne le producteur. « Maintenant que l’on a fait le tour de la fabrication, on va goûter ! lance le chef étoilé. Je l’ai proposé ici de deux façons. En carpaccio avec une lamelle de lomo iberico pour rappeler le côté noiseté et quelques pousses, mesclun. Et dans un deuxième temps, j’ai incisé cette noix de Saint-Jacques pour la garnir de caviar, sur une embeurrée de chou vert et une réduction de cédrat. » Croquée nature, la texture et le fondant délicat de la noix laissent sans voix. Puis, snackée 20 secondes, la légère caramélisation rehausse les arômes de fumaison.

Où trouver cette noix incroyable ? Sur les marchés d’Erquy et Saint-Cast, dans quelques épiceries fines bretonnes, directement aux Fumoirs de Saint-Cast… L’idée des fêtes quoi !

Le Fumoir de Saint-Cast,

 

Écrit par Olivier Marie

Journaliste culinaire professionnel écumant les salles de restaurant et les cuisines de l'Ouest depuis plus de dix ans.
1 commentaire
  1. Marc LEMIERE 27 janvier 2016

    très beau site, on en mangerait !!! bravo
    ML

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Fumeur de Saint-Jacques !

par Olivier Marie temps de lecture : 5 min
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