On devrait évoquer les goûts iodés, la pointe de noisette, la mâche… Et puis après en avoir croqué une ou deux on devrait rapidement glisser sur la cuisine, les accompagnements, les vins biens mariés etc. Malheureusement, rien de tout cela lorsque l’on rencontre aujourd’hui un ostréiculteur. Non, autour d’une assiette d’huîtres, on évoque la crise, les dégâts faits à l’environnement, les reconversions des confrères ici dans le transport, là dans la pêche… les mois qui manqueront pour partir vivre normalement – je n’ai pas dit confortablement – à la retraite… Sans tomber dans le catastrophisme, c’est un fait, le monde de l’huître est salement touché (voir encadré ci dessous), et tous les amoureux du bivalve avec lui. Nous quoi.
Même s’il reconnaît être moins atteint que les autres, Jean-Noël Yvon ne se fait pas d’illusion. « Combien de chantiers sont aujourd’hui en hibernation ? Je n’en sais fichtre rien, mais un paquet… Franchement, je ne vois pas d’avenir. Sur le stock il ne me reste plus que deux ans. A 3 ans de la retraite, il me manquera un peu plus d’un an d’activité ! » Mais pas question de laisser tomber ses 6.5 ha de concession installées sur le domaine maritime, en Istrec dans la ria d’Etel. « C’est un pays ravitaillé par les cormorans, mais c’est vraiment le pays l’huitre ici, L’Istrec ça veut dire l’huitrière ! » Dans ce magnifique coin du Morbihan non loin de Locoal-Mendon la commune de Gilles Servat, Jean-Noël Yvon perpétue le métier dans la famille depuis quand même 4 générations !
« ça me tue de parler de ça ! »
« Ici je travaille seul 4 à 5 mois dans l’année les creuses et les plates. Mais les plates je me contente de les commercialiser. » Jean-Noël ne travaille que des huîtres nées en mer, des naissains naturels. N’allez surtout pas lui parler de triploïdes. « Je ne veux pas d’écloserie ! Que du banc naturel. Si un jour on est amené à ne faire que du triploïde, j’arrête. Ce n’est pas mon métier. Les écloseries ont amené la surproduction et c’est cette même surproduction qui a amené la mortalité… » On sent l’homme profondément touché. « Ça me tue de parler de ça ! reconnait-il le regard ailleurs, cigarette sur cigarette. Pfff et puis ça rend fainéant, t’as plus envie de travailler… C’est quand même pénible d’expliquer un chemin qui était hautement prévisible. J’ai gueulé, j’ai dénoncé, mais je m’en suis pris tu peux me croire… Au début tu mets 8 000 € dans des naissains et puis quelques semaines plus tard tu te rends compte que t’as déjà perdu 6 000 € ! » Jean-Noël compte 300 poches d’huîtres de 2 ans. « D’habitude j’en ai 3 000 ! Et c’est pareil pour les naissains, là j’en ai 500 alors qu’il n’y a pas si longtemps j’en avais 2 000 ! «
L’huître d’Yvon est née en mer, un point c’est tout. Un produit soutenu par le mouvement Slow Food qui en a fait une sentinelle – projet de sauvegarde et de relance d’un produit alimentaire – cette année à l’instar en Bretagne de la pie noire, du chou marin de Lorient, peut-être bientôt du porc blanc de l’ouest. Adhérent au réseau Cohérence, Jean-Noël certifié du label « Ostréiculture durable et solidaire » ne peut concevoir son métier autrement. « Je suis allé ramasser des huîtres sur des cailloux en Charente que je remettais à la pousse ici. J’ai également acheté des huitres à la pêche à pied, le maximum en 2010 et 2011 dans le Golfe, en mer de Gâvres, en Charente Maritime…. On verra pour le captage. Aujourd’hui pour moi c’est la seule solution. Certains ont fait des demandes de concessions sur des bancs naturels en rade de Brest ! Dans notre coin, on a ressemé, avec le syndicat, des gravillons dans les chenaux afin de revitaliser les bancs naturels. Y aura-t-il captage ou pas, à voir… » Mais quoi qu’il en soit, et même si ce combat le mine, Jean-Noël se battra toujours pour faire ce métier qu’il aime et qu’il maitrise. Il suffit d’aller goûter ses huîtres fines de Bretagne pour en être convaincu. Énorme comme on dit ! Si vous passez dans le coin, c’est juste avant Locoal sur la droite.
Depuis 2008, la mortalité des huîtres connait un coup d’accélérateur. Au banc des accusés ? Une forme aggravée du virus OsHV-1 dit herpès de l’huître, la création d’une hu$itre triploïde soit disant stérile et autrement appelée huître des 4 saisons, la surproduction anarchique qui a suivi, le maque de transparence et le manque de suivi etc. Bref, la faute tout simplement à ceux qui ne respectent plus les rythmes naturels. Un rapport de l’Ifremer daté d’octobre 2011 fait état d’un taux de mortalité de 62.3 % avec notamment un taux maximum de 98.8% !
Pour plus d’information, Goûts d’Ouest vous conseille la lecture de cette mine d’information qu’est Regard sur la pêche et d’aquaculture