SEMAINE SPÉCIALE AOZEN / Dans ce verger de 90 ans, nous sommes en bordure géologique du bassin rennais. « On commence à percevoir les premiers plis. Autrefois, on gardait les meilleures terres pour la culture et on plantait les moins bonnes en vergers. Là, à certains endroits, vous avez à peine 15 cm de terre ! On a planté dans le schiste, explique Paul Simonneaux en désignant quelques pommiers. La roche concentre tellement qu’au final cela va donner des arômes et des couleurs beaucoup plus intenses. Rien à voir avec les mêmes variétés plantées un peu plus haut. » Paul et Chantal Simonneaux aiment leur terre. Ils la connaissent parfaitement et prennent soin d’elle. N’est-ce pas la mission première de ces « intendants millénaires de la terre nourricière » comme les nomme affectueusement Pierre Rabhi. Installés dans cette ferme familiale de la Rocheraie en polyculture élevage depuis 1985, Paul, Chantal et désormais leur fille Mathilde, travaillent en biodynamie depuis maintenant 21 ans. « Outre l’élevage, nous cultivons donc les pommes que nous transformons entièrement en jus, les céréales blé, épeautre, seigle et bientôt blé noir. » Des productions que les Rennais peuvent acheter directement à Chantal, tous les samedis dans la Halle Martenot des Lices. Paul lui reste à la ferme. « Ah non, le marché ce n’est pas mon truc ! »
Son « truc » à Paul, c’est la biodynamie. Une démarche encore rare dans nos campagnes bretonnes. « En Ille-et-Vilaine, nous devons être 4 ou 5 à travailler dans cette démarche. » Et même si en 2014 ils ne sont plus regardés bizarrement, « ce n’était pas le cas il y a 20 ans ! Maintenant c’est un peu moins tabou, mais avant, on n’entrait pas dans les détails, on enterrait les cornes au fond du champs ! » rigole-t-il avant, justement, d’entrer dans le détail…
« La biodynamie ? C’est un choix qui est venu progressivement. C’est un long chemin… qui doit être d’abord intérieur. C’est une conception différente du monde vivant, particulière… On n’y rentre pas du jour au lendemain. J’avais ouvert des livres de Steiner il y a plus de 20 ans, et je peux vous dire que je les avais vite refermés. Tout ce côté ésotérique… Et puis un déclic, une vision du monde vivant qui me plait. J’aime l’idée qu’il n’y ait pas qu’un seul monde visible. L’idée, et l’objectif, est de travailler à d’autres niveaux que celui du visible, sur des niveaux suprasensibles, tout en ayant une expression dans le monde visible. Concrètement c’est travailler avec les rythmes de la nature, des planètes… Il existe une harmonie entre tous ces rythmes. Traditionnellement les paysans travaillaient d’ailleurs avec la lune mais l’idéal est ici de travailler dans l’harmonie de ce rythme et pas à contre courant. » Concrètement sur la ferme, cette philosophie se traduit, entre autre, par une dynamisation de la terre, à dose homéopathique. « On va réaliser deux principales préparations que sont la bouse de corne, qui aide au développement du système racinaire, végétatif, et la préparation de silice, à base de quartz broyé très finement. On ne va pas aller au delà de 4 grammes à l’hectare ! Mais ne dit on pas que les petites doses font les grands effets en homéopathie ? » Cette dernière préparation s’effectue le matin, « au lever du soleil. Sur le plan gustatif, cela développe les arômes de terroir, concentrer et exprimer les goûts qui vont partir du sol. » Sans oublier les effets protecteurs contre les champignons notamment.
Venus en amis et en curieux, Caroline et Pierre Legrand accompagnés de Fabien Le Bourg, l’équipe d’Aozen acquiesce à la démarche. « C’est avec des gens comme Paul et Chantal que nous avons envie de travailler. Ici, tout est lié et se nourrit mutuellement. C’est passionnant ! » C’est peu dire effectivement que les variétés de pommes sont à leur aise sur cette terre chérie. La reinette blanche, la chailleux, la pied court, la pomme d’amour, la bédange, la locard… Toutes des pommes à couteau, faites pour le jus. Des pommes de saison qui arrivent à leur rythme d’octobre à décembre. Des pommiers qui donnent une année, ou pas… pour, au final, développer un jus à part. Un jus identitaire, jamais dans l’uniformité.
Un jus apéritif à Aozen utilisé également en cuisine. « en réduction, pour concentrer les arômes. J’y infuse des têtes de langoustines, cela corse le bouillon et l’acidifie. Le jus de Paul et Chantal se marie aux Saint-Jacques, aux viandes blanches, au foie poêlé… » Et les farines Pierre ? « Des babas avec l’épeautre, des ravioles de langoustines… »