30 janvier 2013

Voyage gourmand en pays truffier

Par In Producteurs

En empruntant ce mardi matin l’autoroute Occitane traversant le Lot du nord au sud, de Cuzance à Lalbenque, nous faisons un détour. La veille, un trufficulteur a appelé David Etcheverry pour lui demander de passer. « J’ai deux kilos qui, je pense, peuvent vous intéresser. Passez les voir avant d’aller à Lalbenque… » L’homme est connu pour son sérieux, le détour s’impose. Arrivé dans le village, nous pénétrons dans une cuisine somme toute banale, accueillis par la maîtresse de maison. « Alors on vous a dit 2 kilos hier au téléphone, il y en a en fait 3 mais prenez ce que vous voulez, il n’y a pas de problème. » David Etcheverry, Luc Mobihan, Julian Pekle les trois chefs bretons descendus « à la truffe » accompagnés de Pierre Pipereau, président des Gîtes de France du Lot, ne pipent mot. Les sourires se dessinent, les regards satisfaits se croisent. Sur la table trônent 3 sacs en papier blanc remplis chacun d’1 kg de truffes. Avant même de les ouvrir, l’affaire est entendue. Nous sommes en présence d’un lot magnifique, tout le monde l’a bien compris. Bien rondes et fermes, les truffes Tuber Melanosporum embaument la cuisine. « Vous avez bien fait, madame, je prends le tout. » David Etcheverry est ravi. Il sait qu’il n’aura pas à batailler sur le marché de Lalbenque pour ramener d’autres truffes. Ce soir les chefs remontent en Bretagne avec pas moins de 8 kilos de truffes dans le coffre.

Elu chef de l’année Bretagne 2012 par le GaultMillau et propriétaire du Saison à Saint-Grégoire près de Rennes, David Etcheverry descend à la truffe depuis plusieurs années. « C’est avant tout une histoire d’amitié. » Celle qui le lie, lui et sa femme Christine, à Pierre et Nadine Pipereau, propriétaires du gîte de la Bouysse Haute à Cuzance dans le Lot, capitale de la truffe dans les années 1900. Une histoire d’amitié qui le lie également à ses confrères, cuisiniers de Bretagne. « Lorsque je descends, je demande toujours à quelques chefs de venir avec moi. » Cette année, Jean-Paul Abadie et Jacques Faby, respectivement chefs de l’Amphitryon à Lorient et du Cours des Lices à Rennes, n’ont pu se libérer pour rejoindre Luc Mobihan, chef du Saint-Placide à Saint-Malo et Julian Pekle, ancien des Corbières avant de s’envoler au Japon pour plusieurs mois. « L’idée est vraiment de se faire plaisir, de rencontrer des producteurs, de caver quelques truffes, de humer ce pays truffier et évidemment de faire nos courses ! » sourit le chef du Saison.

La truffe est affaire de réseaux et David Etcheverry s’y connait, habilement relayé sur le terrain par Pierre Pipereau. Ce dernier se charge de récolter les informations et, à l’inverse d’y distiller celles du chef basco breton, notamment en matière de prix… « Il est l’un des principaux acheteurs sur le coin de Cuzance, alors évidemment, les trufficulteurs sur place le connaissent… » Lorsque nous arrivons le dimanche soir, le gîte dégage une odeur caractéristique. « Comme tu me l’as demandé, j’ai acheté ce lot d’1 kg. Il est magnifique… Et c’est bon, j’ai fait passer les infos sur tes prix. » Cette année, pour des truffes de première catégorie, les prix s’échelonnent de 600 à 1000 €du kilo.

Le premier contact avec les trufficulteurs a lieu en Périgord, lundi matin sur le marché hebdomadaire de Sainte-Alvère. « Pour les professionnels, les marchés aux truffes sont plus intéressants que les foires, plus généralistes, plus grand public. Le marché lui est centré sur la truffe, il n’y a généralement rien d’autre » précise Pierre Pipereau. Saint-Alvère est une mise en jambe. Nous arrivons trop tard pour que les chefs puissent bien observer les lots avant de se positionner et éventuellement d’acheter. « Il faut arriver en avance pour croiser les trufficulteurs au café, observer ce qu’ils ont, ce qui se dit, discuter, échanger… Les plus belles affaires sont faites avant même l’ouverture du marché. Ici nous sommes arrivés trop tard, les beaux lots étaient déjà partis… Il restait de la brisure, c’est-à-dire des truffes cassées. »

Retour dans le Lot dès l’après midi. Serges Delbut et sa fille Delphine Vigne nous attendent dans leur truffière, par un froid glacial. « La Ferme de la Truffe est un site expérimental alternant différentes pratiques culturales, différents modes de taille, différents sols également avec apport ou pas de sable calcaire… » Mi Janvier, nous sommes en pleine saison de la truffe. Plantés sur un sol argilo-calcaire oxygéné et légèrement incliné, les chênes pubescents sont cernés de leur brûlé caractéristique. « Lorsque l’arbre truffier donne, au bout de 8 à 9 ans environ, il n’y a plus rien qui pousse autour, c’est le brûlé. Il faut alors arroser et caver les truffes ! » Autrefois repérées par les truies, les truffes le sont aujourd’hui essentiellement par des chiens de race Lagotto ou Labrador, « ou par les mouches qui viennent sur le sol à l’endroit de la truffe. Au soleil couchant on les repère vite ! » Il ne faut pas longtemps au chien pour marquer au sol la présence de la truffe. Ensuite, à chaque trufficulteur sa technique. Serges Delbut, qui laisse simplement marquer son chien, sent la terre avant de déterrer la truffe avec un racloir à deux dents. René Barre, un autre trufficulteur de Cuzance, utilise quant à lui un tournevis et laisse son chien creuser l’éloignant avant qu’il ne griffe la truffe.


Comme de nombreux propriétaire de truffières, René Barre est exploitant agricole, la truffe étant un appoint. « Disons que c’est une préparation à la retraite, explique Raymond Borrie, président du syndicat des trufficulteurs. C’est un capital qui dort pendant 7 à 8 ans mais qui peut être très fructueux pendant une quinzaine d’années. C’est la durée de vie d’une truffière. Mais si l’on y plante ensuite des graminées, elle peut repartir ! » On ne sera donc pas étonné de savoir que le commerce des truffières est rare. « C’est un bien que l’on se transmet de génération en génération, » en sachant que très peu de gens sont imposés sur la truffe ! « Une truffière est considérée comme un verger sur du foncier. »

Après chaque visite, les chefs discutent avec les trufficulteurs pour savoir s’ils ont de beaux lots à vendre. La saison n’est pas très fructueuse, les prix s’envolent facilement, les affaires ne se font pas aisément… On se chuchote des tarifs, on croise en voiture des trufficulteurs qui se visitent entre eux, histoire de s’accorder sur les prix… Les chefs patientent, en se disant qu’il reste Lalbenque demain mardi. Le coup de téléphone n’a pas encore été reçu… L’incertitude en cette journée de lundi n’altère pas leur enthousiasme et leur curiosité gourmande qui les conduit à visiter une dame de 80 ans dont l’activité principale est de casser les noix manuellement. Plus loin, les chefs ont rendez-vous dans une bergerie pour goûter des Rocamadours et acheter un bleu aujourd’hui sur le plateau de fromage du Saison. Un dernier détour par le moulin à huile de noix de Martel de Castagné père&fils. Puis c’est le retour au gîte de Pierre et Nadine Pipereau. Comme de coutume, avant d’arriver en pays truffier, les chefs ont pris soin de remplir le coffre de Saint-Jacques, huîtres, ris de veaux, chocolats et autres flacons enivrants. « Le lundi soir Pierre et Nadine invitent des trufficulteurs et nous leur préparons le repas. » Au menu : toasts de lamelles de truffes, Saint-Jacques contisées à la truffe et risotto de chou fleur, ris de veau croustillants et pâtes à la truffe, rocamadour à la truffe et gâteau au chocolat… sans truffe !

Saint-Jacques, risotto, ris de veau, chocolat… et truffes !

Le téléphone sonne au milieu de l’apéritif. « David c’est pour toi ! » lance Pierre Pipereau. Au bout du fil, un trufficulteur reconnu : « J’ai deux kilos qui, je pense, peuvent vous intéresser… » On connait désormais la suite.

Les 3 kilos de truffes sont désormais dans le coffre. « On a ce qu’il faut désormais avec les 1 kilos achetés par Pierre avant que l’on arrive. Mais nous n’allons pas nous priver de Lalbenque ! Il faut y aller pour le folklore, nous sommes là pour nous faire plaisir ! Et puis on ne sait jamais si l’on tombe sur des beaux lots ! » lance David Etcheverry. Déjà descendu aux truffes il y a deux ans, Luc Mobihan lance un regard amusé au chef du Saison. « David est comme un enfant lorsqu’il va aux truffes ! On ne peut pas l’arrêter ! Moi je suis… Je me suis fait avoir la première année avec de mauvais lots, maintenant je laisse faire l’expert ! » Le basque sourit, les yeux pétillants.

Star des reportages TV, le marché de Lalbenque « attire des gens de toute la planète ! Il faut voir certains acheteurs avec leurs femmes en fourrure, grand chapeaux etc. sourit Pierre. Mais tout est très cadré… Tiens voilà c’est là, on arrive ! » Lalbenque semble résumé à une rue, celle bien nommée du Marché au truffes. Légèrement en pente et bordée d’une boulangerie, de quelques cafés, d’un restaurant, de la mairie… Ce mardi, les vendeurs n’occupent qu’un seul trottoir, « ce n’est pas une bonne année, » confirme Pierre. Sur les étals se chevauchant e descendant la rue, les marchands viennent disposer leurs petits paniers, souvent recouverts du traditionnel tissu rouge et blanc. Il est midi et, par ce temps glacial, vendeurs comme acheteurs déjeunent encore au chaud au café restaurant principal de la rue. A peine entré, David Etcheverry remarque, au fond de la salle bondée, la présence d’un trufficulteur de sa connaissance. Il revient après l’avoir salué… « Il a quelque chose pour nous, il faut que j’aille voir ! » Ses confrères sourient. Décidément, dans sa quête des meilleurs produits, le chef du Saison est insatiable. Un enthousiasme et une rigueur qui ne trompe pas au moment de s’attabler et de déguster ses plats. Dehors, les vendeurs ont pris place, tous alignés, brandissant quelques paniers à des acheteurs souhaitant renifler leurs futurs achats. 14h30, une sirène retentit dans le village et la corde, séparant acheteurs et vendeurs, tombe. En 15 minutes tout est joué. Les transactions se chuchotent, les billets sortent de leurs enveloppes. Le pays truffier est un pays de cash ! Les policiers en civil peuvent rentrer, les courtiers poursuivent leurs transactions au cul des voitures. Le cafetier compte ses billets.

Les trois chefs ont encore un peu plus de truffes dans leur coffre. Il est temps de remonter sur la Bretagne. La bise à Pierre et Nadine pour leur générosité et leur amitié. Sur la route, Jacques Faby, toujours amoureux des beaux produits, appelle et se renseigne sur la « cargaison ». Elle est de belle facture, il passera au Saison demain mercredi. La semaine prochaine, Luc Mobihan propose un cours de cuisine à Saint-Malo sur la truffe. Il organise également plusieurs menus spécial truffes. David Etcheverry est heureux. Il a passé un grand moment d’amitié et de partage. Une bouffée d’oxygène pour ces chefs de cuisine trop souvent happés par leur piano. Le mercredi 6 février 2013, Le Saison proposera son deuxième et dernier repas truffe de l’année. 90€ vins compris.

Texte & Photos : Olivier MARIE

 

Écrit par Olivier Marie

Journaliste culinaire professionnel écumant les salles de restaurant et les cuisines de l'Ouest depuis plus de dix ans.
3 commentaires
  1. Hervé Bourdon 30 janvier 2013

    Pinaise ! Je les sens d’ici ! Les parfums énivrants de la truffe ont la force de l’amitié, du partage et de la générosité. Voilà tout ce qui ressort de ce merveilleux article où l’on sent – et c’est rare – la matière brute et rêche nous caresser les doigts. Merci Olivier. Et bravo aux amis.

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  2. Pierre PIPEREAU 2 février 2013

    Vraies ,sont les journées que nous avons vécues ensemble encore une fois .Les truffes seront encore plus belles et mystérieuses l’année prochaine .Je revis dans la lecture de cette histoire les moments d’une amitié aussi enivrante que l’odeur de ce mystérieux champignon.L’amitié se développe forcément autour d’une bonne table ,de coquilles St Jacques et de truffes.Bravo Olivier pour tant de justesse dans l’écriture de cette belle histoire à vivre.

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  3. Boris Raymond 11 février 2013

    regarder sur le net ce que devient la truffe noire du Pays de MARTEL au St Placide ou à l’école du goût de St MALO est un pur moment de bonheur. La Truffe avec le lard de colonnata, les gnocchis, le parmesan, les st jacques, bar, homard le beurre de chez Bordier et tous ces vins, voilà des Truffes très chanceuses qui ne termineront pas stérilisées avec du pâté et qui raviront bien des palais bretons et assureront la promotion de notre diamant noir ,j’espère aussi que David ETCHEVERRY qui m’a parlé chez Pierre PIPEREAU des ormeaux comme un grand philosophe de la cuisine nous dévoilera un jour une recette abalone truffe. Bravo à tous. Le président des trufficulteurs de la région de MARTEL

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Voyage gourmand en pays truffier

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