Loïc Berthelot travaille le cidre dans le pays de Bedée en Ille-et-Vilaine. Ses cidres artisanaux, que les gourmands connaissent sous la marque Coat Albret, font partie des meilleurs de Bretagne. Gouts d’Ouest a rencontré ce grand épicurien dans sa cidrerie à quelques kilomètres de Rennes.
Incroyable cet océan de pommes ! Combien de producteurs de pommes travaillent avec vous ?
Aujourd’hui je travaille très exactement avec 104 fournisseurs. Donc ça va, ils sont suffisamment nombreux pour qu’il n’y ait pas ou peu de basculement sur les saveurs car l’approvisionnement peut bien évidemment jouer sur les saveurs. Un socle important de fournisseurs joue sur la régularité du produit.
Comment choisissez-vous vos producteurs justement ?
Je choisi les producteurs en fonction évidemment de la qualité du travail des producteurs, des pommes, saines, d’une bonne maturité… Mais je fais un cidre de cru alors je n’ai pas à choisir les variétés de pommes ! Mon cidre est l’expression de ce qui a été fait en amont, il conserve une unité géologique et humaine. Et géographiquement, on reste dans le bout du « haricot » du pays de Rennes. Pleumeleuc, Bédée, Irodouër, Bécherel, jusqu’à St-Méen.
Un pays où l’on produit les pommes traditionnellement ?
Contrairement au centre Bretagne où l’on plantait pour sa consommation personnelle, on plantait ici pour des raisons commerciales. Les vergers étaient organisés, et les producteurs étaient déjà des rurbains qui allaient vendre leur cidre en vrac pour les cafés Rennais Et il ne faut pas oublier le marché allemand !
Le marché Allemand ?
Oui, à la fin 19ème début 20ème, lorsque le train a commencé à être efficace, les Allemands ont acheté ici des milliers de pommes pour leur jus. Des quais spéciaux ont été aménagés sur les gares de Betton ou Montfort. Les exigences des Allemands à cette époque ont également forgé notre cru qui s’est donc développé grâce à la ville et au marché allemand.
Alors quels types de pommes retrouve-t-on chez vous ?
Bon alors les grandes tendances ce sont les pommes aigres, les douces, les acidulées et douces amères. Nous avons peu de pommes amères dans la région, mais nous sommes sur-approvisionnés en pommes acidulées et aigres sans oublier une base de pommes douces qui se mariaient avec les acidulées pour faire un cidre désaltérant. Je joue avec tout ça pour élaborer le cidre, avec quand même quelques correcteurs de goût en cas de besoin avec des pommes très amères ou très acides. Ces variétés de pommes sont là de manière anecdotiques, mais elles auront une incidence non négligeable sur le profil gustatif du cidre final.
Le goût des pommes diffère d’une année sur l’autre ?
Mais oui, en fonction du climat qui va nous donner des fruits plus ou moins sucrés, aromatiques, plus ou moins concentrés..! Une année chaude nous donnera moins d’acidité. Ce n’est pas bon pour le profil gustatif ni pour la conservation du produit. Les années sèches on va avoir plus d’alcool, les goûts seront exacerbés, plus puissants.
L’origine des pommes est une chose, l’autre grand travail dans l’élaboration du cidre reste celui de la fermentation et d’ailleurs vous vous êtes sérieusement penché sur la question des levures…
Oui, les levures, je connais ! On va jouer en fait sur différentes levures pour élaborer le cidre. Sur une première fermentation, on va avoir une famille de levure spontanée naturellement présente dans le jus qui va manger du sucre. Son rôle essentiel est de produire l’alcool. Elle n’apporte rien au niveau aromatique, elle prend toute la place et fermente rapidement. C’est vraiment une levure expansionniste qui ne laisse pas les autres levures, notamment les apiculées, se développer. Les petites levures ne s’expriment pas et pourtant ce sont elles qui donnent de l’élégance, de la finesse, du fruit… On va alors éliminer une grande partie de cette flore fermentaire primaire avec la centrifugeuse. Fin de la première fermentation. On a acquis à ce stade entre 1 et 1.5 point d’alcool. La seconde fermentation va être beaucoup plus lente, on va rééquilibrer la flore. Elle est beaucoup plus harmonieuse, plus élégante et plus intéressante car c’est ici que l’on va obtenir de la complexité aromatique… C’est ce que l’on recherche dans tous les cidres en fait.
Quelles sont les influences des différentes levures sur les cidres ?
Chaque cuve est fermentée différemment. Le brut je le fais fermenter avec la première levure, un peu plus longtemps. Cette levure va donner un goût rustique… Michel Guérard disait que mon brut était janséniste ! La fermentation lente va surtout pour le fruité. Un demi-sec, on va également moins le fermenter…
Comment se déroulent les assemblages ?
Tous les 15 jours, le mardi matin avec Jeff, je prépare une cuvée pour l’embouteillage d’après… On va goûter ce qu’il y a de disponible… 5, 7, 10 cuves. Des fermentations que l’on a mené avec des fruits différents. C’est notre matière première, à nous de la répartir ensuite. On goûte ensemble, mais c’est moi seul qui décide des assemblages. Je réalise ma préparation de cuvée sur un tableur. Il faut évidemment respecter la législation, et ensuite le critère principal reste le goût sans perdre de vue la cohérence, la régularité du produit. Ensuite Jef prend ma « fiche recette » et réalise les assemblages.
En dehors des doux, demi-secs, bruts… Vous êtes tenté par des expérimentations plus poussées ?
J’ai fait un cidre sur lie une fois avec des variétés de Saint-Méen. la fermentation était étonnante, très lente dès le départ avec une exceptionnelle complexité aromatique. 4 à 5 000 litres pas plus ! Je l’ai embouteillé dans un flacon différent et ne l’ai ressorti que 4 ans plus tard. Un cidre de garde. Mais autrement je n’ai pas envie de sortir des trucs pseudo exceptionnels et marketés comme des cidres bleus, fluos… Je pourrais inventer de nouvelles choses, mais il me faudrait plus de techno… Travailler sur la concentration pourquoi pas… Non mon rêve serait de fermenter les miels d’exception avec des levures pointues – Banyuls, Sauternes… -, sans fermentation spontanée. Ce serait peut être merveilleux.
Loïc BERTHELOT Artisan-Cidrier – Cidrerie du Bois d’Albret – 35137 BEDEE
Tel: (00 33) (0)2 99 09 05 78 – coat-albret@wanadoo.fr
Ouvert de 9h à 12h
et de 14h à 18h
du Lundi au Vendredi.